Procès Sonatrach 1 : Le chargé de la sécurité interne n’a rien vu venir

Le procès Sonatrach 1 s’est poursuivi jeudi avec l’audition d’une vingntaine de témoins liés aux marchés de télésurveillance. Le premier à être entendu est Ali Bakhouch, membre puis président de la commission technique d’ouverture des plis relatifs au marché de télésurveillance. Le juge : «Le partage en trois lots et l’affectation aux trois sociétés retenues ne violent-ils pas la R15 ?» Le témoin se défend en évoquant une «situation exceptionnelle», avant d’affirmer : «C’est le comité exécutif qui a pris cette décision.» Selon lui, le retrait de Siemens de la soumission est lié au fait que la commission a refusé de l’informer des affectations des lots «pour éviter toute situation de surenchère sur les prix». A propos de l’instruction du ministre de l’Energie  de décembre 2005, il pense qu’«elle est venue après la lettre du wali de Béjaïa évoquant des menaces terroristes contre le pipe et la nécessité de protéger les installations pétrolières». «La première réunion sur la sécurisation des sites a été tenue juste après», dit-il. Slimane Ghezli, membre des commissions technique et commerciale, mais aussi chargé du projet de la télésurveillance prenne sa place à la barre : «Le 29 décembre, Belkacem Boumedienne, qui n’était pas encore vice-président, m’a informé du soit-transmis du ministre où il est écrit "combien de fois devrais-je vous rappeler que tous les sites de Sonatrach doivent être dotés de systèmes de protection. Me faire la liste des directeurs qui refusent d’exécuter les instructions pour les sanctionner". Il m’a dit qu’il existait deux circulaires du ministre, l’une de 2003, après l’acccident de Skikda, et l’autre de 2005, qui évoquait la sécurisation des sites. Il m’a parlé d’un plan d’action que je devais récupérer auprès de Mme Boudemagh. Il comportait une présélection de 8 sociétés.» Le juge : «Qui a eu l’idée d’une consultation restreinte ?» Le témoin : «C’est le comité exécutif, mais sur proposition de la commission technique. Même s’il n’était pas permis, ce mode de passation de marché était utilisé à Sonatrach sur dérogation du PDG. Depuis les amendements du 29 juillet 2005, l’usage de la consultation a pris racine.» Le juge : «Vous aviez déclaré que le lotissement du marché était une décision du PDG.» Le témoin : «Le comité exécutif nous a demandé de faire des propositions et la commission a proposé le lotissement. L’idée a été approuvée le jour même…» Interrogé sur la non-publication de l’avis d’appel d’offres au Bulletin des avis d’appel d’offres du secteur de l’énergie et des mines (Baosem) comme le stipule la R15, le témoin explique qu’il avait préparé le placard, mais qu’il n’avait «pas de compte analytique pour payer la publication. Si je l’avais eu, je l’aurais publié». Selon lui, c’est la direction HSE, au niveau de l’activité Amont, «qui est responsable» de cette publication, précisant : «avec Mme Boudemagh, nous avons posé le problème à Belkacem Boumedienne, qui nous a dit, "ce n’est pas grave. Ce sont des marchés urgents. Ils relèvent de la sécurité. Ils doivent rester confidentiels"». Le juge : «Ces caméras ne sont-elles pas visibles ?» Le témoin : «Certaines oui, mais les systèmes anti-intrusion ne doivent pas être visibles.» «La répartition des lots s’est faite avant les offres commerciales» A en croire le témoin, les 123 sites n’étaient pas dotés de système de protection. Le juge : «Sur quelle base avez-vous réparti les marchés ?» Le témoin : «C’est le comité exécutif qui a arrêté le partage…» Une réponse qui fait réagir le président : «Quel est votre rôle, alors ?» Le témoin se tait. Sur le quatrième lot, resté sans soumissionnaire après le retrait de Siemens, il dit avoir proposé une consultation restreinte «parce que l’appel d’offres aurait nécessité au moins deux ans, alors que les consultations restreintes ont pris deux mois seulement». Le magistrat : «Pourquoi trois lots ont été attribués de gré à gré sous prétexte qu’il y avait urgence et, subitement, pour le quatrième lot, cette urgence disparaît pour passer à un avis d’appel d’offres international ? Est-ce parce que Contel n’était pas concerné ?» Le témoin : «Je ne pouvais proposer autre chose que l’appel d’offres. Belkacem Boumedienne l’a validé.» Sur l’étude comparative des prix, il affirme l’avoir effectuée sur la base des offres des trois sociétés Martech, Vsat et Funkwerk. «Vsat et Martech étaient moins-disantes dans les lots qu’elles ont pris et Funkwerk était plus-disante dans son lot. L’étude a été faite sur ce lot. J’ai trouvé que les prix de Funkwerk étaient plus chers. J’ai saisi le vice-président, et ce dernier en a informé le PDG, lequel a demandé une négociation pour une baisse de 15%.» Ghezli souligne toutefois que cette comparaison des prix n’a pas pris en compte les carractéristiques techniques. Selon lui, celles de Funkwerk étaient les plus développées. L’avocat de Sonatrach : «Pouvons-nous dire que que l’objectif assigné par Sonatrcah pouvait être réalisé par les trois sosciétés ?» Une question qui suscite une réaction collective des avocats, mais le juge recadre le débat autour des faits. Le témoin affirme avoir fait une autre étude comparative des prix sur les offres pour les 123 sites, où il a relevé des hausses tantôt dans l’offre de Martech, tantôt dans celle de Funkwerk, tantôt dans celle de Vsat. «Raison pour laquelle je me suis limité à l’étude comparative du lot attribué à Funkwerk et qui montrait une légère hausse par rapport aux deux autres sociétés», affirme t-il. Le lot 4, souligne-t-il, a fait l’objet d’«une consultation restreinte avant d’être réparti, lui aussi, entre les sociétés Cegelec, Alstom, Thales, Spie et SW». Au procureur général qui lui demande pourquoi n’avoir pas pris la décision dès le départ de lotir le projet, Ghezli répond : «Cette répartition a été faite le 23 janvier 2006 alors que les offres commerciales ont été reçues en juin, soit six mois après.» Le procureur général exhibe une lettre de Siemens annonçant son retrait de la commission. Le témoin est formel : «Siemens n’a pas les capacités de prendre les 123 sites. Son représentant a demandé à deux reprises la prolongation des délais pour envoyer ses offres, nous avons accepté. Mais à la veille de la réuniond’ouverture des plis, elle nous annonce par fax son retrait.» Sur les montants des contrats, il avance 53 millions d’euros, pour le lot 1 attribué à Martech, 64 millions d’euros pour le lot 2 attribué à Vsat. Interrogé par un avocat sur l’attribution du CIS de Hassi Messaoud à Contel-Funkwerk, il répond : «Le CIS a été attribué par le ministre. Il y a un écrit dans ce sens, que j’ai lu. C’étais avant que je sois nommé chef de projet. C’était un gré à gré, de même que pour la base du 24 Février.» A propos des délais impartis par le ministre pour la réalisation du projet de sécurisation des 123 sites, il déclare qu’ils ont été repris et réaffirmés par l’intérimaire du PDG, M. Feghouli, et le secrétaire général, M. Zitouni. «Sont-ils compatibles avec les dispositions de la R15 ?», demande un avocat. Le témoin dit «jamais» et explique : «Si on donne tout le projet à une seule société et même si celle-ci a tous les moyens nécessaires, il lui faut 35 ans pour le terminer.» «La consultation restreinte était justifiée par l’urgence» Revenant sur les raisons qui ont fait que le vice-président Belkacem Boumedienne n’a pas autorisé la publication au Baosem, Ghezli indique avoir été convaincu des raisons avancées par son supérieur qui, selon lui, sont «liées à la sécurité de la compagnie». Il confirme à un autre avocat l’existence au début de 5 lots, réduits à 4, précisant toutefois que «cette répartition était faite avant mon arrivée». Lui aussi justifie la consultation restreinte par «l’urgence» du projet, ajoutant «l’appel d’offres ouvert n’était pas possible dans les condition de délais». Selon lui, le PDG n’a joué aucun rôle dans ces marchés. Le juge appelle Abdelkrim Bonatero, représentant de la banque BNP Parisbas, qui explique à propos des mouvements de fonds vers les comptes d’El Hachemi Meghaoui et de son fils Yazid, qu’ils proviennent de Contel et non pas du holding, précisant avoir remis au juge d’instruction un PV de l’assemblée générale et une attesttion de Contel holding. Lotfi Merazi, commissaire aux comptes de la société Contel, qu’il dit avoir rejoint en 2006, reçoit une cascade de questions. Le chiffre d’affaires de la société qui a grimpé de 45 millions de dinars en 2006, à 330 millions en 2007 avant d’atteindre 2,6 milliards de dinars en 2008, suscite une série de questions lancées par le juge. «Cette hausse n’est-elle pas liée aux contrats de Sonatrach ?» Le témoin : «Une partie grâce aux contrats et une autre générée par les études effectuées pour le compte de Funkwerk…» A propos de Fawzi Meziane, il affirme que ce dernier est entré dans le capital de Contel avant la création du holding. «Lorsqu’il a acheté ses parts en 2005, la société était bénéficiaire, mais en 2006, elle était déficitaire. Fawzi n’a jamais pris de dividendes. Réda Meziane a obtenu ses dividendes en 2008 du holding, distribués en 2009», note le témoin, qui atteste avoir validé les comptes de la société. Le procureur général l’interroge sur les activités du holding : «La seule tâche du holding est de gérer administrativement les deux sociétés qui le composent. C’est une structure qui gère et redistribue les dividendes», dit-il. Il précise que Reda Meziane a pris des actions lors de la création du holding et les a cédées en 2009, soit une année après. Les Meghaoui, ajoute-t-il, étaient déjà présents à Contel avant d’être associés dans le holding. Selon lui, ni le holding ni le groupement ne génèrent de bénéfices. «Le holding peut-il corrompre des personnes physiques», lui demande le juge. «Pas en tant que personne morale. Du point vue comptable, il doit justifier toute dépense», répond-il. Le juge insiste sur la question et le témoin perd la voix. Le juge lui fait remarquer qu’il n’a pas obtenu de réponse. Un des avocats d’Al Smaïl Djaafar : «Avez-vous remarqué des opérations douteuses ou non justifiées ?» Lotfi Merazi répond négativement, précisant que «même s’il y a des actes illégaux, ils doivent être maquillés avec des factures. Je le dis en général, mais je n’ai pas eu à le constater dans ce cas précis». A propos des documents justifiant le virement des dividendes, il s’agirait, selon lui, du PV de l’assemblée générale et de l’attestation des impôts : «Le holding a ses spécificités. On ne peut même pas parler de dividendes. Ce n’est pas lui qui les génère. Elles appartiennent aux activités des sociétés qui le composent», répète-t-il. Interrogé sur le montant de 64 millions de dinars viré sur le compte de Réda Meziane en 2009, le témoin déclare qu’«il s’agit des dividendes de 2008. Il n’avait pas encore cédé ses parts». 20 millions de dinars de dividendes pour 300 000 DA d’actions Rachid Ourabah, associé dans le holding Contel, explique, quant à lui, avoir perçu ses dividendes en 2010, sans pour autant être capable de révéler leur origine. Devant l’étonnement du juge, il lâche : «Ils viennent du groupement Contel-Funkwerk. Je ne sais pas s’ils proviennent des contrats de Sonatrach.» Le juge : «Pourquoi n’avez-vous pas de contrat de consulting avec Funkwerk comme les autres actionnaires ? N’êtes vous pas proche d’Al Smaïl ?» Le témoin a un large sourire et dit : «Je ne sais pas.» Au procureur général, il révèle être entré dans le holding avec 300 000 DA pour lesquels il a perçu 20 millions de dinars de dividendes.  Le juge réplique : «Dieu lui a donné…», provoquant des éclats de rire dans la salle. Mohamed Guerrar, directeur central de la sécurité et la sûreté interne de Sonatrach, passe à la barre. Il parle d’une dizaine de réunions restreintes consacrée à la télésurveillance tenues entre 2005 et 2010, période où il était chargé de faire le reporting sur tout ce qui se faisait à ce sujet. Il affirme que la première présentation technique de Contel a été faite vers la fin de 2004 avec TVI. «Je ne sais pas comment et pourquoi Contel a fini avec Funkwerk. Et je ne peux dire comment Contel, Funkwerk et TVI se sont retrouvées à l’activité transport par canalisation.» Sur les retards enregistrés dans la réalisation, il affirme que «toutes les sociétés n’étaient pas dans les délais. J’étais chargé de faire les états de situation qui me parvenaient de l’ensemble des activités, mais aussi de sources personnelles». Pourtant, cette situation de «responsable bien informé» ne lui a pas permis d’être au fait de la présence des enfants du PDG dans le capital de Contel. Tout comme il «ne savait pas» que les marchés n’étaient pas publiés dans le Baosem et, de ce fait, il dit n’avoir pas informé le ministre. Mais à une autre question d’un avocat, il répond être au courant «de tous les projets et de leur avancement». Interrogé sur l’application des pénalités de retard à Saipem, le témoin affirme  : «Jusqu’en 2010, ces pénalités n’étaint pas appliquées.» Ces réponses du témoin suscitent une série de questions sur ses attributions. Il se limite à citer des textes de manière à éviter l’essentiel. «Etiez-vous au courant des instructions du ministre», lui demande un avocat. Le témoin déclare qu’elles sont au nombre de deux : celle du 5 janvier 2005 où «il dénonce certains gestionnaires qui justifient les retards par la nécessité d’un avis d’appel d’offres». «Le 27 septembre 2005 j’ai écrit au PDG pour l’informer que depuis cette instruction, je n’ai pas senti d’avancement des travaux. Il a fallu la seconde instruction du ministre pour que ça bouge.» L’avocat revient à la charge et lit la lettre du témoin adressée au PDG où il fait état de retard et ajoute qu’à son avis, il faut faire pression sur les responsables. L’avocat demande ce qu’il voulait dire par «faire pression». Le témoin : «Je voulais juste rappeler l’importance de ces projets, le retard et la tenue d’une réunion du comité exécutif pour prendre des décisions.» L’avocat : «Avez-vous fait des propositions au sujet du projet des 123 sites ?» Le témoin dit non. L’avocat exhibe une correspondance confidentielle signée par le concerné, qui propose une autre consultation restreinte après le retrait de Siemens du lot 4. «Je peux proposer des solutions pour aider le PDG. Ce ne sont que des propositions. Elles peuvent être prises en compte tout comme elles peuvent être rejetées.» Sur une autre lettre qu’il avait transmise au PDG, sur proposition du vice-président Amont, il dit avoir «avancé quelques idées». Le juge : «Vous vous êtes aligné sur la position du comité exécutif qui a décidé de passer par une consultation restreinte pour le lot 4.» Le témoin aquiesce : «Si le PDG suit mes propositions, c’est qu’elles sont bonnes.» Il reconnaît avoir attiré l’attention du PDG sur la non-signature de 13 contrats de l’activité Amont. «Mon rôle se limite au reporting adressé au PDG et au ministère et dans le cas où il y des dysfonctionnements j’alerte et je fais des propositions», ne cesse-t-il de répéter. En dépit du fait, révèle la défense, que le contenu du courrier que Guerrar a échangé avec le PDG «montre son rôle actif». Il dit avoir quitté la compagnie en 2010 et qu’à cette époque, tous les projets accusaient du retard.

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