«Le recrutement du fils du PDG est une stupidité»

Jeudi en fin de journée, le tribunalcriminel d’Alger, entame l’audition des témoins cités dans le procès Sonatrach 1, concernés par le dossier de réalisation du gazoduc GK3 par Saipem. Le premier à être entendu est Antonio Callidou, qui a remplacé Tullio Orsi à la tête de Saipem Contracting Algérie en 2010, à la suite de l’éclatement du scandale. Assisté d’un interprète, il s’exprime en français. D’emblée, il déclare : «Nous avons fait un rabais de 15%. Le projet a été achevé avec une perte de 150 millions d’euros. J’ai tous les documents prouvant cette perte et les dépenses effectuées. J’ai même le rapport du commissaire aux comptes et l’étude réalisée par le bureau KPMG qui démontre le préjudice subi. Mais l’ouvrage est là et il transporte du gaz.» Le juge le ramène aux faits, en lui demandant de parler calmement. Il lui demande si «le fait d’être resté avec une société seulement» a encouragé Saipem à décider des prix. Le témoin s’énerve, hausse le ton et gesticule. «Ce n’est pas vrai. Si c’était le cas, nous aurions gagné plus.» Le juge : «Vous parlez très fort comme nous, pas comme les Européens.» La remarque détend l’atmosphère. Le magistrat revient à la charge, mais cette fois en interrogeant le témoin sur les surcoûts relevés par des études comparatives. Callidou conteste et justifie les prix du marché par plusieurs paramètres : «La complexité du projet, son importance, les difficultés du relief, du sol, des régions par où il passe, etc.» Le juge lui demande alors si les prix de ce projet sont les mêmes que ceux appliqués ailleurs dans le monde. Le témoin donne l’exemple de la pose d’un pipe de 48 pouces en Sicile et en Australie, mais le président veut des réponses précises. «Quel est le coût de la réalisation d’un kilomètre linéaire de pipe de 48 pouces ?» demande-t-il. Le témoin : «Nous n’avons pas de prix du kilomètre linéaire. Le puits est construit avec des équipements annexes, des études techniques, des marges de risque, etc. C’est en prenant en compte tous ces paramètres que nous faisons le calcul du coût.» Le juge rappelle les propos du témoin Yahia Messaoud, selon lequel un kilomètre de pipe de 48 pouces a été facturé par Saipem à 2 millions de dollars, alors que sur le marché, son coût est de 1,2 million de dollars. Le témoin conteste avec colère : «C’est une erreur !» «IL Y A DES GENS QUI ATTIRENT LES PROBLÈMES» Le juge appelle Benamar Zenasni, vice-président de l’activité transport par canalisation, qui déclare : «L’erreur est d’avoir fait une simple opération de division. Ils ont divisé le montant du projet par le kilométrage. Obligatoirement, le prix est élevé.» Le juge : «Combien coûte le kilomètre de pipe ailleurs ?» Zenasni : «100 DA le mètre. Saipem l’a facturé 120 DA.» Il rejoint le box et le juge se retourne vers le témoin : «Le contrat de consulting que Saipem a signé avec Réda Meziane est qualifié de fictif. Qu’avez-vous à dire ?» Callidou explose : «C’est une stupidité de mon prédécesseur. Ces gens ne ramènent rien. Ils attirent les problèmes. La loi l’interdit.» Le juge : «Tullio Orsi, votre prédécesseur, a déclaré lors de l’instruction que Réda Meziane a intercédé auprès de son père pour régler le problème des pénalités de retard. Qu’en dites-vous ?» Le témoin : «Nous avons payé les pénalités de retard. Cela est certain.» Le juge : «Alors pourquoi demander l’intervention de Reda Meziane ?» Le témoin s’emmêle les pinceaux, puis lance : «Peut-être qu’il n’y a pas de conflit d’intérêt. Chez nous, il y a séparation des pouvoirs. ENI est une société étatique. Les choses ne fonctionnent pas comme cela. Si Réda Meziane avait de l’influence, nous aurions gagné de l’argent. Or, nous avons perdu 150 millions d’euros.» Le juge : «Quel travail faisait Reda Meziane ?» Le témoin : «Il était consultant. Il connaissait le milieu, les pratiques. Rien que cela.» Le juge veut plus de détails sur la facturation des services effectués par Réda Meziane et le témoin répond : «Quand j’ai pris mes fonctions en 2010, j’ai trouvé des factures et des accusés réception. Je n’ai trouvé aucun document portant sa signature. Cela peut être des informations. Ce qui est certain, c’est qu’il n’a pas influé sur l’obtention du marché.» Le juge : «Est-il possible qu’un consultant soit payé sans présenter de travaux ?» Le témoin : «Il a remplacé un autre consultant.» Le magistrat : «Lorsqu’on voit le salaire mensuel de 140 000 DA et le montant de 4 millions de dinars viré sur son compte, nous sommes en droit de penser qu’il s’agit d’honoraires fictifs…» Le témoin : «Nous avons cherché dans la comptabilité et nous n’avons trouvé aucune trace de ces 4 millions de dinars. Je ne connais pas les relations personnelles qu’il y avait entre Tullio Orsi et Réda Meziane. La règle, chez nous, est de ne pas rester plus de 3 ans. Orsi est resté 6 ans. C’était trop. Depuis le scandale, il était très perturbé. Il venait de divorcer et sa fille avait des problèmes dans ses études. Il est reparti en Italie. Quelque temps après, il a été muté à Dubai, puis rappelé en Italie avant qu’il démissionne.» Les avocats prennent le relais. L’un revient sur le coût du marché et le témoin s’énerve : «Il était trop bas. Nous avions perdu 150 millions d’euros. Si nous avions quitté, nous aurions perdu encore 2 millions d’euros», Puis il précise : «Nous ne considérons pas Sonatrach comme un client, mais comme un partenaire. Lorsque les responsables nous ont demandé de baisser les prix, Milan a accepté. L’usine était stratégique pour l’Algérie. Le contrat de la station électrique d’El Kala était attribué aux Américains et le gaz était déjà vendu.» Le témoin perd le contrôle et revient sur certains marchés que Saipem a perdus : «Nous avions soumissioné pour la raffinerie d’Alger, mais elle a été attribuée à Technip pour 2,8 milliards de dollars, qui a abandonné les travaux avant la fin et qui réclame aujourd’hui plus de 500 millions de dollars. La raffinerie a coûté 3,8 milliards de dollars. Plus que nous avions proposé.» Callidou dément avoit sous-traité avec une autre société pour la réalisation du GK3 et affirme que si Sonatrach avait annulé le marché, «elle aurait rendu un grand service» à Saipem. Il note cependant que «le projet est un grand gain pour l’Algérie, qui lui permet aujourd’hui de vendre le gaz par bateau à tout le monde. Le pipe relie l’Algérie à la Sardaigne et peut même être utilisé pour vendre à la France. Nous avons eu d’énormes pressions pour l’achever. Ils nous ont obligé à faire un tronçon de 8 pouces pour alimenter des lignes de Sonelgaz. Nous étions contraints de changer le planning du projet». Interrogé sur les pertes occasionnées à Saipem, il affirme qu’elles sont liées à la couverture des risques. «Il y a eu le match Algérie-Egypte qui a poussé de nombreux ouvriers égyptiens à partir, la situation en Syrie qui a eu des répercussions, mais aussi des difficultés à trouver des soudeurs, qui sont de véritables chasseurs de primes, qu’il faut bien payer», explique-t-il. LA VALSE DES RABAIS Revenant sur le contrat de consulting de Réda Meziane, Callidou affirme que c’était le même que celui obtenu par son prédécesseur pour le même salaire, 140 000 DA, et la même durée, 3 ans. Interrogé par un avocat sur la baisse que Saipem a consentie sur le prix, le témoin déclare : «Lorsque Sonatrach nous a demandé pour la première fois de revoir le prix à la baisse, cela a été une surprise pour nous. Nous avions soumissionné et versé des cautions. Le fait que nous soyons retenus c’était une acceptation des prix. A la fin, on nous demande de baisser le montant... Nous avons accepté un rabais de 3%». Un autre avocat demande à Callidou si Réda Meziane a informé Saipem du taux de 12% de baisse que Sonatrach voulait négocier. Le témoin : «A ma connaissance non. Si c’était le cas, c’est que mon prédécesseur était très stupide !» Un autre avocat : «Y a-t-il un lien entre ce dossier et celui ouvert par la justice italienne à Milan ? Quelles sont les personnes citées ?» Le juge juge intervient : «La première partie de votre question est acceptable, mais pas la seconde, elle est rejetée. Elle n’a aucun lien avec les faits», dit-il, avant de se tourner vers le témoin qui répond : «ENI a été acquittée dans ce procès. D’après ce que je sais, le procès n’est pas encore terminé. Je ne dirais pas plus et je ne sais pas s’il y a un lien entre ce dernier et cette affaire.» A la question de savoir comment les employés de Saipem étaient payés en Algérie, le témoin surprend l’assistance par sa réponse : «En Algérie, les constructions nécessitent beaucoup d’ouvriers, qui veulent tous être payés en espèces, avant que leur sueur ne sèche», suscitant des éclats de rire dans la salle. Hamid Hamlat, qui exercait à Saipem et remettait ses honoraires à Reda Meziane a, lui aussi, surpris par ses propos : «C’est Tullio Orsi qui m’a chargé de remettre chaque mois ses honoraires à Réda Meziane. Je mettais 140 000 DA dans une enveloppe que je les remettais à Tullio Orsi avec une décharge. Il se chargeait de les lui remettre, et me restitue la décharge signée.» Le juge : «C’est un personnage important alors, puisque c’est le responsable qui lui remet le salaire en mains propres. Les autres employés sont-ils payés de la même manière ?» Le témoin : «Ils recevaient tous leur salaire en espèces à mon niveau.» Interrogé sur les 4 millions de dinars virés à Reda Meziane, le témoin jure qu’il n’en a jamais entendu parler. «Cette somme n’est pas sortie de la comptabilité», répète-t-il. L’audience reprendra demain, avec une autre liste de témoins.

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