Les Algériens, inquiets des augmentations de prix de ce début d’année, reçoivent le projet de Constitution qui vient d’être transmis au Conseil constitutionnel, en se demandant si les avancées ostentatoires et obligées en matière de droits et libertés amélioreront réellement les conditions démocratiques générales et leur donneront les moyens de s’assurer une vie digne. Avec plus de 100 amendements, le pouvoir leur paraît toujours plus soucieux de se légitimer, de neutraliser des adversaires et d’obtenir des ralliements que d’apporter une réponse durable au besoin de changement radical. Des progrès quantitatifs, arrachés au prix de luttes héroïques, sont perceptibles dans différents domaines, même s’ils sont de portées et d’ampleurs différentes. Ils demeurent cependant tous conditionnés par des conceptions hégémoniques qui constituent la matrice idéologique du pouvoir depuis l’indépendance. Les recompositions internationales et les besoins nationaux posaient pourtant l’exigence d’aller vers un changement qualitatif et une deuxième République, démocratique et sociale. Lors de la présentation de l’avant-projet de la Constitution, Ouyahia affirmait soupçonner la société de semer l’anarchie. La démocratie apaisée telle que conçue par Bouteflika n’impulse donc pas de changement décisif dans le rapport entre l’Etat et la société. L’arbitraire amène ainsi à constitutionnaliser le concept de fitna qui culpabilise la société et à imposer la réconciliation nationale plutôt que de consacrer la résistance au terrorisme islamiste et reconnaître le sacrifice de centaines de milliers d’Algériens, civils et militaires. La souveraineté de cette nation, suspecte aux yeux du pouvoir, est même remise en cause par l’article 178 qui lui interdit de réécrire certains articles de la Constitution. La nation doit pourtant être la loi. Elle doit fonder l’ordre politique, car c’est la condition de l’unité de l’Etat et de la nation. La formulation de l’identité nationale relève elle aussi d’une démarche quantitative en droite ligne des conceptions hégémoniques du pouvoir. Il faut se féliciter que tamazight soit consacrée langue nationale et officielle, c’est le fruit d’un long combat, même si l’arabe est promu langue officielle d’Etat et si l’islam est toujours confisqué par l’Etat, malgré l’affirmation de la liberté de culte qui ne peut prendre tout son sens que par la séparation du politique et du religieux. Le pouvoir tourne ainsi le dos à l’exigence de consacrer l’algérianité. Il envisage encore l’identité nationale non comme une synthèse singulière, mais comme une addition de différentes composantes dont il s’agit uniquement d’aménager les quantités et les rapports en les hiérarchisant. Le principe représentatif et celui de séparation des pouvoirs sont eux aussi maintenus sous tutelle. Le régime semi-présidentiel est légèrement rééquilibré, mais le chef du gouvernement qui préside le Conseil des ministres ne peut mettre en œuvre qu’un programme d’action dans le cadre du programme du Président. Pour le nommer, ce dernier n’a qu’à consulter la majorité parlementaire en disposant toujours du droit de dissoudre l’APN et d’un véritable droit de veto à travers le tiers bloquant au Conseil de la nation. La multiplication des conseils dans différents domaines et pour différentes catégories de la société ne pallie pas le déficit de représentation, même si elle permet d’associer de nouvelles énergies à la gestion de l’Etat. Si la Constitution renforce les droits de l’opposition parlementaire, les forces vives sont acculées à se transformer en lobbies sans pouvoir concourir de manière autonome à la formation de la volonté politique du peuple. Et même s’il concède une instance indépendante de surveillance des élections pour garantir la sincérité du vote, le pouvoir écorche l’idée même de représentation en n’affirmant pas le principe de liberté de candidature pourtant à la base d’une représentation indépendante. Il durcit même les conditions en interdisant aux citoyens non-résidents en Algérie de postuler à la Présidence. En vérité, la notion d’Etat de droit est vidée de son contenu démocratique, tandis que les droits et libertés consacrés par la Constitution sont tous soumis à la loi alors qu’ils devraient s’imposer à elle. Le régime déclaratif devrait se substituer à celui d’agrément en matière d’organisation et d’activité démocratiques. Les principes ne devraient pas être bornés, comme c’est le cas de la parité limitée au domaine de l’emploi. Les mesures transitoires ne devraient pas retarder la mise en œuvre des droits comme celui de saisir le Conseil constitutionnel pour une exception d’inconstitutionnalité. Tous les droits sociaux devraient être opposables à l’Etat. Ils ne devraient surtout pas être remis en cause en inscrivant dans la Constitution les choix néolibéraux du pouvoir qui n’hésite pas ainsi à affirmer une idéologie d’Etat. L’islamisme et la classe politique nihiliste savent que ce qui compte pour eux, c’est le maintien du caractère despotique national-libéral de l’Etat. C’est d’ailleurs avec ses instruments et son personnel politiques que Bouteflika compte rapidement traduire dans la loi les dispositions introduites dans la Constitution. Les partisans de l’Etat théocratique font donc de la surenchère contre tamazight et sur une pseudo-dérive séculière en sachant que même s’ils perdaient la bataille, ce ne serait pas une défaite définitive tant que leur présence dans les institutions est assurée. Ils peuvent être d’autant plus rassurés que de larges pans de l’opposition démocratique considèrent que cette révision est une diversion et se dispense de tout travail de clarification. Sans négliger ce qui peut faire avancer la cause de la démocratie, à partir d’acquis partiels, intermédiaires, mêmes limités, le MDS tient, quant à lui, à rappeler les leçons de l’expérience : on ne peut indéfiniment usurper les luttes et résistances de la société. Elle exigera toujours des garanties de mise en œuvre du futur texte constitutionnel. Elle posera toujours la question essentielle du changement au sein des institutions et de la base socioéconomique de l’Etat. Les questionnements s’accumulent et les luttes s’engagent déjà, comme c’est le cas autour de l’officialisation de Yennayer. Ce processus finira par cristalliser au plan politique et permettra de résoudre les contradictions et les inconséquences de cette Constitution, afin d’aborder les changements fondamentaux dont a besoin le pays. Le MDS appelle les forces républicaines et démocratiques conséquentes à s’organiser et à s’unir pour préparer cette alternative. Alger, le 14 janvier 2016 Le bureau national du MDS
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