Cheminot, un métier dangereux

La mort de deux agents de la Société nationale des transports ferroviaires (SNTF) a provoqué la colère de leurs collègues qui ont déclenché une grève. Un protocole d’accord, signé par la SNTF avec la commission provisoire de la Fédération UGTA des cheminots (FNC), a mis un terme à l’action de protestation qui a paralysé le trafic ferroviaire. Les trains ont de nouveau roulé. Mais la colère des mécanos est tangible. «Un matin,  à Hussein Dey, un chef conducteur a trouvé le pare-brise plein de sang. Un individu n’ayant pas toute sa tête s’est jeté d’un pont et son sang a giclé à l’avant de la voiture. Le mécanicien n’a plus reconduit. Des exemples de ce genre, on en compte plusieurs quotidiennement. Comme ce mécanicien qui a assisté à un accident qui a causé l’amputation des jambes d’un voyageur à l’arrière de son train. Complètement abattu, l’agent infortuné s’est fait muter, après des mois de congé de maladie, comme vendeur de tickets à Boudouaou. Il y est toujours», relate Abdelkader, formateur, rencontré aux Ateliers du Hamma, à Belouizdad (Alger). Lui-même ancien conducteur, ce quinquagénaire chargé de la formation dans les ateliers antédiluviens du vieux Belcourt était confronté à des accidents violents au début de sa carrière. «J’ai 27 années de service. J’étais moi-même confronté au début des années 1990 à des accidents dus à l’incivisme des gens. Un fellah distrait qui se met en travers des rails devant la locomotive avec son bétail, des voyageurs indélicats qui sautent du train ou s’y accrochent sans calculer les conséquences. Même en actionnant le frein d’urgence, le mécano ne peut pas éviter un accident parfois dramatique. Le choc pour le conducteur est à vie», estime le formateur en montrant du doigt un autorail dont la tôle de la cabine du conducteur a été complètement cabossée. Les agents de la SNTF confrontés à des accidents, presque quotidiens, sur les 3500 km de voies ferrées du pays, ne sont pas au bout de leurs peines après une mésaventure. Si l’accident est mortel ou cause des blessures, ils doivent faire face à des poursuites judiciaires. «Les conducteurs sont soumis par les services de sécurité à une prise de sang et à un examen anthropométrique en bonne et due forme. Des poursuites judiciaires sont engagées contre eux pour homicide involontaire, comme l’exige le code pénal. Les mis en cause sont traités comme de vulgaires criminels, alors que l’accident n’est souvent pas de leur fait. Pour tout compliquer, l’audience n’est pas à huis clos et le mécanicien se retrouve en face des proches de la victime dont la réaction est parfois très dure même en cas de suicide. D’ailleurs, 60% des heurts sont dus à des suicides», estime-t-il. Et d’ajouter que le cheminot «ne trouve pas la paix» même chez lui, puisque des membres de sa famille le «tarabustent» de questions le rendant plus vulnérable. Le métier des agents de la SNTF est très difficile (accidents récurrents, découchage, somnolence, etc.), mais il semble que la prise en charge post-accident n’est pas correctement assurée. Les cheminots en grève ont déploré, lors de leur dernier mouvement, la mauvaise prise en charge psychologique. «L’avocat du service contentieux assiste, certes, le conducteur. Sans plus. Le concerné prend son congé de maladie sur une ordonnance de son psychiatre. La SNTF fait longuement patienter le malade pour une dérisoire prise en charge qui n’est plus réclamée par aucun agent», regrette un mécanicien qui a requis l’anonymat, déplorant que ni sa hiérarchie ni le syndicat-maison ne se soucient d’un personnel «très vulnérable». Le protocole d’accord, signé par la Fédération des cheminots dont El Watan détient une copie, a insisté sur la «pénibilité» du travail accompli par les personnels d’accompagnement, les agents des infrastructures, des gares et du matériel. Selon le document cosigné le 2 janvier par Abdessalem Aliane, président de la commission provisoire du syndicat des cheminots, et le DG de la SNTF, Yacine Bendjaballah, les fonctions sont jugées difficiles et pénibles par le fait d’être constamment en état de vigilance suite aux jets de pierres, agressions, incidents sur les lignes... Les signataires indiquent qu’«il appartiendra aux spécialistes des maladies professionnelles de déterminer la nature et le degré d’influence sur la santé des agents». Concernant les poursuites judiciaires, l’accord parle de la saisie par écrit du ministère des Transports et de l’UGTA pour d’«éventuelles interventions auprès des tribunaux». Qui appliquera l’instruction du gouvernement ? En plus des préjudices irréversibles (moral et physique) sur ses agents, l’entreprise publique du rail subit d’importantes pertes dues aux accidents et incidents enregistrés quotidiennement sur son réseau (sabotage, jets de pierres, vol ou saccage des caténaires, heurts, etc.). «Le pare-brise d’une automotrice saccagé par une pierre jetée par un jeune inconscient au bidonville de Semmar (Gué de Constantine) ou ailleurs coûte jusqu’ à 100 millions de centimes. Le manque à gagner est important aussi suite à l’immobilisation durant deux ou trois jours des automotrices», précise un mécanicien. Les ateliers de maintenance, de remisage et de nettoyage gérés par une société suisse au Caroubier (Alger), fruit d’une joint-venture algéro-suisse (SNTA-Stadler), ne désemplissent pas. Il y a deux sortes d’intervention sur les rames : préventives et curatives. Les premières sont ordinaires (journalières, assurées dans le dépôt, mensuelles ou annuelles), tandis que les secondes surviennent après une panne grave. Dans les ateliers, la SNTF compte au moins une dizaines de locomotives diesel réformées après des attaques terroristes. «Ces locomotives servent pour la récupération des pièces. Les rames acquises par la SNTF sont touchées et leurs tôles entièrement trouées. Sur les 17 autorails diesel hydraulique (CAF) acquis à prix fort par la société, il n’en reste que 4 en service. Il est navrant de voir une automotrice immobilisée après un choc, un déraillement», regrette-t-on. La chefferie du gouvernement, sensibilisée par l’EPIC — dont certains redoutent après tous ces incidents la privatisation-bradage —, a instruit, en 2007, ses différents services  pour «réprimer les atteintes au patrimoine du réseau ferré». L’instruction n°7 datée du 28 novembre 2007, dont El Watan s’est procuré une copie, met en avant les atteintes qui constituent «un phénomène inquiétant qui risque de réduire l’impact et même compromettre les efforts financiers consentis par l’Etat pour le développement du réseau national des chemins de fer». Tout en énumérant les différentes agressions sur le réseau ferroviaire (vol, création de passages à niveau pirates, implantation de bidonvilles...), l’instruction a suggéré plusieurs pistes pour faire face au phénomène : sanctions exemplaires, campagnes de sensibilisation par les médias publics, mise en place d’un comité ad hoc pour faire appliquer la loi 90-35 relative à la police, la sûreté, l’usage et l’exploitation des transports ferroviaires, établissement d’un état des lieux et mise en place d’un plan d’action. L’instruction adressée aux différents ministères et aux walis n’a jamais été appliquée, regrette-t-on.        

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