Le parcours d’obstacles

Qu’elles soient de l’opposition ou des partis de l’alliance présidentielle, qu’elles soient militantes des nouveaux partis ou des doyens, les femmes ont du mal à figurer sur les listes des candidats aux élections locales. Les raisons sont multiples, mais les plus récurrentes restent les mentalités réfractaires à l’émancipation de la femme. Pour bon nombre de femmes élues, la situation ne fait que régresser. Les femmes ne représentent que 18% des 165 000 candidats aux 1541 assemblées communales et 28% des 16 000 candidats aux 48 assemblées de wilaya. Lors des élections locales de 2012, le taux de participation des femmes à la course aux assemblées communales avait bondi de 0,7% (en 2007) à 16,56%, et de wilaya de 6,89% (en 2007) à 29,69%, grâce au système de quota de 30%, imposé par la loi, mais qui visiblement n’a pas pour autant réussi à freiner les mentalités rétrogrades qui empêchent les femmes de conquérir l’espace politique. Si en 2012, elles étaient 4119 à avoir été élues, le scrutin de 2017 ne risque pas d’améliorer ce score, étant donné la régression du nombre de candidates et la diminution des places qui leur ont été accordées par leur formation politique. Un parti comme le RND, par exemple, considéré deuxième force après le FLN, a présenté 8000 candidates, mais seulement 6 sont têtes de liste, alors que le Parti des travailleurs, présent dans 38 wilayas avec ses 12 000 candidats, a placé trois femmes en tête de ses listes, dont deux en tant que présidentes des APC de La Casbah et de Sidi M’hamed, à Alger, et la troisième en tant que présidente de l’Assemblée de wilaya de Sétif. Le Front des forces socialistes, connu pour ses positions en faveur de l’égalité, n’a présenté que trois listes chapeautées par des femmes. Deux pour diriger les Assemblées de wilaya d’Alger et d’Oum El Bouaghi et une seule pour tenir les rênes de la commune de Tizi Ouzou. Le RCD, quant à lui, n’a mis aucune femme en tête de liste, mais, dit-il, il «a respecté le quota des 30 % dans la vingtaine de wilayas où il est présent, y compris dans les régions où ce quota n’est pas obligatoire». Cette absence manifeste des femmes à la tête des listes lève le voile sur les difficultés que rencontrent les plus téméraires des femmes pour avoir accès à la direction des assemblées locales. Reléguées au second plan, elles ont du mal à arracher une bonne place sur une liste pour pouvoir être élue. Chez la majorité des partis, elles sont souvent classées en dernière position, et leur classement est loin de refléter leurs compétences et leurs profils. Membre du Rafel (Réseau algérien des femmes élues locales), créé il y a quelques mois, Sakina Hadighanem est une élue RND de la commune de Mahelma, qui aspire à un autre mandat «malgré les souffrances» qu’elle endure. «Les problèmes que rencontrent toutes les femmes élues se ressemblent et transcendent les casquettes politiques. Depuis la présentation de la candidature jusqu’à la fin du mandat, en passant par l’exercice de ce dernier, nous traversons un océan de problèmes et d’obstacles. Nous nous retrouvons dans l’obligation de faire des efforts colossaux, de travailler sans arrêt juste pour montrer que nous sommes capables d’exercer notre mission au même titre que les hommes, qui, dans beaucoup de cas, sont sous-qualifiés et ont moins de diplômes et d’expérience que les femmes», révèle l’élue. «Il faut avoir les reins solides pour pouvoir résister aux idées préconçues» Elle raconte comment les candidats aux 19 sièges de cette commune rurale étaient choisis parmi les membres de la famille, du quartier ou des tribus, sans pour autant prendre en compte leur niveau d’instruction et leurs compétences. «Cela n’a pas été facile pour moi d’entrer, grâce au système de quota, dans ce domaine réservé depuis longtemps aux hommes. Il a fallu que je me batte contre tous pour me faire une place. J’ai été de fait désignée en tant que déléguée au maire, puis présidente de la commission sociale et culturelle. Cela m’a permis d’aller vers les citoyens dans les quartiers que mes collègues hommes ont toujours évités. Cette proximité avec la population m’a permis de m’attaquer au fléau de l’analphabétisme qui touchait particulièrement les femmes qui n’avaient même pas le droit de quitter leur maison. J’ai réussi là un exploit parce que je rentrais dans les foyers…» Sakina revient souvent sur cette manière d’«écarter les femmes élues des prises de décision, comme par exemple tenir des réunions dans des cafés entre hommes. Mais comme je me considérais comme élue et non pas comme femme, je les rejoignais et cela les étonnait…», dit-elle. Et de préciser : «Nous étions trois femmes à avoir été élues, mais nous n’avions pas la même vision de la politique. Elles ne s’impliquaient pas et donnaient souvent procuration à leurs collègues, parce qu’on les a habituées à cette méthode de travail. Ce qui n’est pas mon cas ni celui de beaucoup d’autres, qui sont aujourd’hui nombreuses.» Sakina est formelle : «Les femmes font un travail colossal lorsqu’on les implique. Elles consentent des efforts extraordinaires malgré les situations difficiles qu’elles subissent. Elles font toutes l’objet de ségrégation, depuis la préparation de leur dossier de candidature, jusqu’à la fin de leur mandat. Elles ont toutes une histoire douloureuse à raconter. Pour résister et faire face aux mentalités rétrogrades et au conservatisme du premier degré,  il faut avoir les reins solides. Ne nous voilons pas la face. Nous sommes en train de régresser. Beaucoup considèrent la politique comme une activité malsaine exercée par les personnes de mauvaises mœurs.» Ce pessimisme s’explique par une réalité que Sakina vit quotidiennement. «Je travaille beaucoup avec les imams par exemple, et certains d’entre eux font campagne contre les femmes qui travaillent, contre la mixité et sournoisement contre les femmes qui ne portent pas le voile, etc. Ils sont écoutés en raison de l’ignorance. Raison pour laquelle je dis qu’il faut agir dans ce domaine et bien d’autres», conclut Mme Hadighanem. Ce constat amer n’est pas isolé. Nadia Aït Zai, directrice du Ciddef (Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant  et de la femme), à l’origine de la création du Rafel, fait état de la même situation dans de nombreuses communes du pays et pose le problème du droit des femmes à accéder aux postes politiques. «Ce droit n’est malheureusement pas garanti par la loi relative au quota de 30%. Celle-ci se caractérise par des insuffisances criantes», relève Mme Aït Zai. Comme elle, bon nombre de femmes, élues locales, membres du Rafel, sont convaincues que «pour bousculer les idées préconçues, les clichés et la misogynie régnante, il faut impérativement plaider pour la parité. Obliger la classe politique à présenter dans toutes les communes et les assemblées de wilaya le même nombre de femmes et d’hommes».   Les témoignages des unes et des autres laissent croire que l’Algérie des libertés et de l’égalité est encore loin devant nous et que les femmes devront continuer à se battre pour arracher leur place au sein de la société.  

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