Yacef Saâdi raconte la Bataille d’Alger : la bombe de la rue des Thèbes (suite et fin)

Après notre riposte du 11 août 1956, au lendemain de la bombe de la rue des Thèbes, les quartiers populaires retrouvaient leur image de calme apparent. Il fallait donc multiplier les investigations pour compléter nos listes de suspects terroristes européens.

À la mi-août l’enquête sur Gérard Étienne était terminée. Il habitait à El-Biar. C’était un homme très actif. Sa fiche fourmillait d’indications. Son domicile, ses habitudes, les endroits précis pour le localiser. Tout y était indiqué. Il y avait cette autre précision : dangereux et toujours armé. Une vraie cible ! Il jouissait d’un grand prestige dans le quartier. Il était propriétaire d’une luxueuse salle de cinéma le « Rex » et du bar du même nom qu’il exploite sur l’avenue Georges Clemenceau. Il faisait partie de ces commandos au bavardage assourdissant, qui plaçaient des bombes et pratiquaient l’enlèvement sous l’œil bienveillant de la police.

Il recevait beaucoup. Surtout des hommes d’allure mystérieuse. Des barbouzes à peine déguisés .Il devint notre homme dès lors qu’un soir, par manque de vigilance, son jeune employé- un Algérien- découvrit un râtelier plein d’armes installé dans son bureau du « Rex ». Le garçon en fut tellement effrayé qu’il allât tout droit raconter son aventure à son responsable de cellule.

Sur le plan pratique, son élimination ne posait aucun problème. C’est Briki Yahia, chef du secteur FLN-ALN qu’a recruté Abdelkader Benbarek qu’il chargea d’éliminer Gérard Étienne. Il le revu le lendemain 28 août 1956 dans un café de Bab El-Oued pour mettre au point les conditions du déroulement de l’action. L’arme, Benbarek ça le connaissait, il l’avait pratiquée pendant son service militaire.

Le dimanche 2 septembre 1956 au soir au moment où le gris-bleu de la nuit s’apprête à absorber les derniers rayons du soleil, une « 203 » de marque Peugeot se gara à proximité de la salle de spectacle juste assez en retrait pour ne pas attirer l’attention.

Yahia Briki conduisait. Sur la banquette arrière, les mains enfouies dans un sac de sport, Benbarek remontait sa mitraillette. De temps à autre il jetait un regard furtif à son compagnon de gauche, visiblement mal à l’aise.

Par le rétroviseur Briki balayait du regard la lunette arrière tout en s’efforçant de scruter les passants à travers son pare-brise. Au même moment Gérard Étienne accompagné de sa femme et d’un ami sortaient du bar. Mais au lieu de se diriger vers le rond-point comme d’habitude, ils décidèrent de poursuivre leurs discussions au bon milieu du trottoir, en face de la « 203 ».

Un peu plus loin, il y avait des soldats qui faisaient leur ronde. Après  un moment d’hésitation Benbarek retira l’arme du sac, en cala le canon dans l’encoignure de la portière arrière. Inspira fort, à cet instant Gérard Étienne opéra un tour complet sur lui-même criblé de douze balles.

En appuyant sur la gâchette Benbarek avait imprimé à l’arme un léger mouvement, de haut en bas, pour aligner les impacts de balles comme s’il eut l’intention de trancher dans le sens vertical. En fait c’était pour éviter la femme de Gérard et son ami.

Profitant de la confusion, le véhicule démarra et fila tout droit en direction du stade d’El-Biar  où il devait être abandonné.

Sans la négligence du pourvoyeur qui, dans sa panique, avait laissé traîner deux chargeurs sous la banquette arrière, la police n’aurait pas remonté la filière jusqu’au propriétaire, le fabricant de boissons « Zerka » qui devait soutenir avec la dernière énergie que son véhicule a été volé.

Les frères Di-Roza qui affectaient d’être d‘honnêtes commerçants le jour en vendant de la glace et des spiritueux, la nuit venue, déposaient des bombes ou assassinaient de pauvres gens .Ils avaient la manie de vanter leurs performances nocturnes. Ce bavardage devait coûter la vie en premier lieu ,à Jean, l’aîné. Pour l’éliminer, Boualem Abaza et Omar El Kahouadji désignèrent Mokhtar leur coéquipier qui l’exécuta derrière la mosquée des dix colonnes.

Vincent Béringuez, un coiffeur gravement porté sur la vantardise, était domicilié au 7 rue Souilah Mohamed. Il adorait se « montrer » devant sa clientèle européenne. Son exécution échut à un candide, jeune fidaî qui eut l’audace de le traquer à l’intérieur de son salon.

Les gens de Bab El-Oued, comme Vincent le marseillais dit « la Rascasse », s’adonnaient au terrorisme en silence. Pour le débusquer, on fit appel à Ali Z’Yeux bleus. Les deux hommes se connaissaient déjà. Ali s’était présenté chez lui en jurant qu’il ne voulait pas se laisser intimider par le F.L.N. Il lui montra un visage affligé de peur. Insistait sur la menace imaginaire qui planait sur lui, ébranlé, la « Rascasse » retira sa main de l’arme qu’il dissimulait derrière le comptoir sous la caisse enregistreuse. Puis il s’entendit répondre : Écoute Ali, tu n’as aucune raison de les craindre. Nous allons tout arranger.

On te donnera une arme et de l’argent. Comme ça tu seras des nôtres. La preuve étant faite, Ali sortit son arme et lui administra deux balles. Dans la même semaine l’autre Di-Roza-Vincent, subissait le même sort aux confins de la Casbah.

Le cas de Claude Mestre était diffèrent. Ce fonctionnaire des renseignements généraux estimé de ses chefs menait une double vie. Il était affable et attentionné avec les gens du « Grand Café du Sahel » que gérait son père à Place du Gouvernement (actuel Place des Martyrs), et il lui arrivait de dire par des allusions à peine voilées sa façon de mener ses interrogatoires dans les locaux de la D.S.T.

Sa brutalité ne connaissait pas de bornes, sans se rendre compte il transgressait la règle du silence dont s’entourait habituellement son service. Que l’écho de ses bavardages nous fût parvenu rapidement il n’y avait rien là d’étonnant. Nos agents de renseignements traînaient partout.

Son exécution fixée au 10 septembre échut à Merzak Hahad qui activait au sein du groupe de la basse Casbah. Merzak connaissait parfaitement la mentalité des tenanciers de bars européens. Ce soir-là, il s‘était rendu seul à son rendez-vous sans prendre d’autres précautions, que le revolver accroché à sa ceinture.

Claude Mestre n’était pas un monsieur comme tout le monde. Il était méfiant et même dangereux. Pourtant il s’affaissa sans avoir le temps de tirer. La liste n’était pas clause pour autant, elle ne cessera de s’allonger tout au long de la guerre.

Sans trêve en perspective la guerre se poursuivit donc. Mais pour ne pas attiser la folie exterminatrice des Européens, nous dûmes décrocher pendant trois jours. Et le 31 décembre, par des attaques à la grenade, je lançais nos commandos à l’assaut des quartiers résidentiels. Je résolus de réduire le nombre des lanceurs : deux hommes, un lanceur et un guetteur suffisaient amplement.

L’offensive fut fixée à 18 heures ; l’heure des sorties des bureaux.

Les gens emplissent les rues : les cafés, les bars regorgent d’une foule bigarrée au milieu de laquelle des militaires en grand nombre.

Le lendemain, la presse donnait une somme de précisions : « Aux alentours de 18 heures, des témoins auraient vu deux Algériens, apparemment de simples promeneurs, se séparer en arrivant à hauteur du café des Boulomanes, rue Hoche, et y lancer une grenade. L’explosion a provoqué beaucoup de dégâts.

Au même moment, au pont Polignac, la devanture du café de l’Étoile volait en éclats. Prés de l’Hippodrome du Caroubier, c’est le Santa-Lucia qui a été visé. Le Santa-Lucia est un bar fréquenté habituellement par des militaires en goguette. Puis c’est le café « Chez Tonton », avenue Point-Carré à Kouba qui écope. Dans le même élan, deux grenades sont lancées rue St-Anne au « Clos Salembier ».

À la nuit tombée, le bilan est de 8 morts et 16 blessés. La journée prit fin vers 21 heures avec une bombe qui explosa à l’intérieur du tri postal à la Gare Maritime, situé à quelques mètres  du commissariat de police du port. Elles furent déposées par le jeune El madaoui et Z’minzère.

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