- Le 7 août 2016 un pacte d’actionnaires consacrant la cession d’actions d’ArcelorMittal à Imétal a été conclu. Quelle évaluation faites-vous après la consultation de ce contrat ? Le document de cession est constitué de 12 articles en 12 pages. Il est ahurissant de constater qu’une opération de cette importance soit exprimée dans un contrat aussi squelettique et vide. Les cessions d’actions sérieuses sont formalisées dans des contrats de centaines de pages auxquels sont ajoutées des annexes techniques comptables. Les accords portant sur des opérations et processus de cette ampleur — restructuration de capital, montage de partenariat, cession et/ou transfert de parts sociales — touchant des ensembles industriels prennent la forme, non pas d’un document unique et isolé, mais sont exprimés dans, ce qu’on appelle, des packages contractuels qui incluent un ensemble de documents comprenant les supports des négociations, les procès-verbaux d’accords intérimaires, les dues diligences donnant des informations sur les titres de propriété, les comptes sociaux, les créances et les dettes. Le contrat de cession ou pacte d’actionnaires ne comporte qu’une annexe. L’indigence et le caractère sommaire du pacte d’actionnaire sont frappants. Tout s’est passé comme si les deux parties se sont débarrassées d’une formalité. De la part d’ArcelorMittal, on le comprend, il a consenti une donation, un cadeau empoisonné. La partie algérienne, par contre, a accepté une succession sans inventaire. Pitoyable victoire à la Pyrrhus qui a consisté en une récupération tapageuse — en scandant pour la fierté nationale — d’une entreprise colossale accumulant les déficits de douze années et croulant sous le poids des dettes. - Dans une de vos précédentes interventions sur le sujet, vous aviez soutenu que la partie algérienne héritait de tout le passif légué par ArcelorMittal. Vous êtes démenti par les faits. Il se trouve que le protocole d’accord contient une clause de garantie de passif ! Le contenu, la garantie de passif inconnu : cette clause de garantie doit être lue sous un double aspect. Le premier porte sur l’exonération de passifs précis, limitativement énumérés. Cette clause exonère le cédant de «la garantie de passifs précis, environnementaux, techniques, sociaux ou de droit du travail ; les passifs fiscaux». En enlevant ce qui précède, il ne reste de passifs que les dettes des fournisseurs me semble- t-il. Quant au second, il évoque «l’exonération du passif inconnu». Le cédant ne s’est engagé qu’à une garantie de passif inconnu. C’est-à-dire le passif qui n’aurait pas été révélé dans le bilan. Il en ressort qu’est exclu de la garantie le passif connu figurant dans le bilan. En outre il est précisé dans le même pacte (article 6.1) que le cessionnaire, c’est-à-dire la partie algérienne, a réalisé un audit financier des sociétés au 31 décembre 2015 avec l’assistance de ses conseils et experts. Ainsi ArcelorMittal aura la latitude d’écarter toute mise en cause ou implication pour tout passif, car celui-ci est supposé être connu, puisque l’audit a été fait par la partie algérienne qui ne pourra pas soutenir qu’elle a été mal informée. ArcelorMittal lui opposera allégrement que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Dans ce cas, le cédant a la partie belle. Il n’a qu’à faire une bonne due diligence, ou savoir cacher ce qu’il cache et se voir exonérer de tous les passifs. Il ne faut surtout pas oublier que deux années avant cette renationalisation aux alentours de novembre 2014, deux conventions de crédit de 600 millions de dollars ont été signées entre la BEA et AMA. Une autre convention d’un montant de 355 millions de dollars pour le financement des besoins en fonds de roulement a été également signée. Il faut remarquer qu’à cette date, ArcelorMittal détenait encore le management et que le fonds de roulement financé par la banque est un fonds fugace et volatile. Autrement, on ne sait pas exactement à quoi il a servi et où il a abouti. Cette dette bancaire est à la charge du cessionnaire. La partie algérienne a accepté de prendre en charge toutes les dettes du bilan qui doivent être colossales. En enlevant ce qui est exonéré, la clause de garantie de passif devient un miroir aux alouettes, une clause en trompe-l’œil. - Mais on peut vous opposer que la cession des actions est gratuite. Est-il acceptable que le cédant assume le passif alors qu’il cède l’actif à titre gratuit ? On oublie que le cédant a acquis les actions à titre gratuit, quoi de plus normal de restituer gratuitement ce qu’il a acquis gratuitement. - Vous vous êtes exprimé sur cet épineux dossier qui a suscité moult interrogations. Comment peut-on commenter cette renationalisation ? Tout cela s’est fait sans aucune évaluation du partenariat qui a duré douze ans. Quelles sont les dettes qu’ArcelorMittal a laissé ou plutôt dans quelle situation a-t-il laissé le complexe ? Un bilan doit être fait «sur le transfert de technologie réalisé, la préservation de l’emploi, la maîtrise du management, la réduction des importations...» En un mot qu’est-ce que le pays a gagné dans cet accord de dupes ? Est-il concevable qu’ à ce niveau des affaires, on puisse solder un dossier pareil sans aucune forme de procès. - Quelle est votre évaluation sur la fin de ce processus ? L’historique du partenariat est révélateur. La signature du protocole d’accord de privatisation partielle intervient le 18 octobre 2001. Avec les 70% des actifs, le groupe Ispat International, est actionnaire majoritaire d’Ispat El Hadjar. On ne connaît pas officiellement le prix de cession des actions, couvert comme un secret- défense. Mais le terme dérisoire (équivalent de dinar symbolique) revenait souvent dans les discours. L’embellie financière de l’Algérie allait booster la commande publique, engendrer une floraison de constructions et de travaux publics ainsi qu’une forte demande sur l’acier. Une conjoncture opportune pour la renaissance du complexe. Cette embellie permettrait aussi les assainissements qui prennent toujours la forme d’effacement de dettes du Trésor public. ArcelorMittal se trouvait partenaire à 70% d’un complexe assaini opérant dans un créneau porteur. L’objectif était un partenariat durable destiné à assurer la pérennité des opérations de l’activité sidérurgique d’El Hadjar par l’obtention d’une performance au niveau des standards mondiaux. - A-t-on atteint cet objectif ? Manifestement non ! L’observation de l’évolution du partenariat, tel que retracé par le préambule du pacte de reprise des actions de 2016, révèle qu’il a commencé lorsque l’industrie au plan mondial se portait plutôt bien. Le préambule de l’accord de 2016 affirme qu’en 2008, «en raison de la crise mondiale des produits sidérurgiques». Les parties ont dû se rapprocher et ont décidé d’un plan de relance. «Dans ce cadre, les deux parties ont décidé d’une augmentation de capital de 120 millions d’euros, dont 84 millions étaient versés par le cédant (ArcelorMittal holding)». La formule de plan de relance suppose que le complexe était quasiment en blocage. - ArcelorMittal participe plus que la partie algérienne, n’est-ce pas un effort louable ? Ce que ne dit pas le préambule, c’est que dans le même processus, le complexe obtenait 600 millions de dollars consentis par la BEA. Consentir une augmentation de 84 millions et obtenir un financement de 600 millions est assez juteux. Le recours aux crédits bancaires est plutôt un mauvais indicateur. Déjà en 2008, soit 7 ans après l’engagement, le partenariat battait de l’aile et les autorités algériennes n’avaient pris aucune mesure face à l’incapacité patente ou plutôt l’absence de volonté d’ArcelorMittal de réaliser son business plan. Bien au contraire l’Algérie lui a renfloué les caisses qui se vidaient. «A la fin 2012 en raison, notamment, de la crise mondiale, l’aggravation de la situation des sociétés a contraint les parties à acter que ce plan de relance (élaboré en mars 2012, ndlr) était insuffisant et a établi un nouveau plan d’investissement», dixit le préambule du contrat de 2016. - Comment la situation internationale de la sidérurgie se répercute sur AMA alors que celle-ci n’opère pas pratiquement à l’international, sachant qu’elle n’a réalisé que quelques opérations sans incidence ? En effet, votre observation est appropriée. Il est curieux de noter que les pertes d’ArcelorMittal dans le monde se répercutaient sur la situation des sociétés en Algérie qui, dès l’origine, n’ambitionnaient pas l’exportation mais la réduction des importations. La coïncidence des difficultés d’ArcelorMittal dans le monde avec les déficits d’AMA serait éventuellement le signe que le partenaire étranger puisait dans les caisses algériennes pour faire face à ses pertes à l’étranger. La situation aurait été équitable si AMA bénéficiait des embellies d’ArcelorMittal dans le monde. En 2014, le groupe a enregistré un chiffre d’affaires de 79,3 milliards de dollars. AM Algérie ne s’en est pas mieux portée. En 2013, pour sauver l’unique complexe sidérurgique du pays d’une cessation d’activité, le gouvernement décide de reprendre le contrôle. Le groupe public Sider augmente sa participation dans AMA de 21% et passe à 51% avec un plan d’investissement de 763 millions de dollars (565 millions d’euros). Une grande partie de l’investissement relatif à la modernisation du complexe, 600 millions de dollars environ, devait être financée à travers un crédit bancaire de la BEA. L’investissement à engager par les fonds propres des deux partenaires devait être de l’ordre de 123 millions de dollars. L’Algérie refinance à fonds perdus. Deux grands financements à quatre années d’intervalle. La lecture du préambule révèle qu’au fur et à mesure que la situation se dégradait et que l’échec se certifiait, la partie algérienne augmentait ses participations, ce qui supposait une prise en charge accrue des pertes. Le 15 octobre 2015, l’Algérie reprenait l’intégralité des actions d’un groupe en déconfiture avec pertes et fracas. Triste épilogue d’une sinistre gabegie. Comble de mauvaise gouvernance et d’absence de vision stratégique. En définitive, l’Algérie a cédé les actions du complexe El Hadjar lorsque l’industrie sidérurgique pouvait se porter bien et les a récupérés, lorsque tout allait mal, car la crise va réduire les besoins et les ressources. Ainsi fut le partenariat ArcelorMittal/Sider. Une aventure sans bilan ni inventaire, où l’Algérie a pris en charge l’échec d’un partenariat plutôt avec pertes et fracas qu’avec pertes et profits, car de profits, il n’y en a point.
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El Watan