Abdallah Djaballah : « Quand est-ce que l’armée s’est retirée de la gestion des affaires de l’État ? »

Abdallah Djaballah est le président du Front pour la justice et le développement (Al Adala). Dans cet entretien, il explique le projet de fusion entre trois partis islamistes et revient sur d’autres sujets d’actualité.


Al Adala, Ennahda et El Bina ont signé un accord pour une union politique. S’agit-il d’une simple alliance ou d’une fusion des trois partis politiques ?

Nous avons déjà eu à expliquer qu’il s’agissait d’une alliance stratégique et unificatrice. Ses raisons d’être n’ont rien à voir avec les prochaines élections législatives même si le projet intervient à la veille du scrutin. Les trois partis vont organiser, par la suite, un congrès rassembleur pour qu’ils constituent une seule et unique formation politique avec un seul nom, une seule direction et les mêmes instances. Si toutes les conditions seront réunies, ce congrès se tiendra avant les prochaines élections locales. C’est-à-dire en septembre 2017.

Le Mouvement pour la société et la paix (MSP) et le Front du changement (FC) ont créé leur propre alliance. Pourquoi les partis islamistes peinent-ils à se réunir autour d’un seul projet ?

C’est un problème de temps. Nous n’avons pas pu discuter avec d’autres forces politiques même s’il y a eu des tentatives notamment avec le Front du changement (FC de Abdelmadjid Menasera, NDLR). Les islamistes qui travaillent pour la gloire de leur religion sont appelés à l’unité par la charia. Il est nécessaire d’arriver à concrétiser une unité entre les différents acteurs du courant islamistes. On souhaite que cette alliance soit élargie à tous les enfants de l’Algérie qui croient en le projet islamique.

Est-ce que le problème avec le MSP est seulement lié au temps ou est-ce qu’il y a une certaine concurrence ?

Personnellement, j’ai dépassé ces choses depuis longtemps. Cela ne m’a pas traversé l’esprit même dans ma jeunesse. Ensuite, ce sont des lectures faites par des journalistes. Et en ce qui me concerne, je pense qu’il s’agit d’une question de temps. D’ailleurs, il est possible que l’initiative soit relancée avec le MSP et avec d’autres (partis, NDLR) pour arriver à des accords d’unité.

Cette alliance est ouverte aux anciens du FIS et de l’AIS ?

Il s’agit d’un rassemblement de partis politiques. En 2015, j’avais déjà lancé une initiative en direction des personnalités nationales au-delà de leurs appartenances partisanes. Cela n’a pas marché pour des raisons objectives. Cette initiative est celle de partis politiques qui rentre dans un cadre officiel.

Donc, les anciens du FIS et de l’AIS ne pourraient pas y adhérer ?

L’ouverture est une question relative. Pour ce qui est des prochaines élections, toute personne remplissant toutes les conditions juridiques a le droit de contacter l’alliance et cette dernière aura le devoir de regarder (sa demande) et de l’étudier. La loi interdit de travailler avec un parti qui n’existe pas (comme le FIS, NDLR) mais elle n’interdit pas de travailler avec des personnes qui jouissent de tous leurs droits.

En 2012, le MSP, Ennahda et Islah ont créé l’Alliance de l’Algérie verte (AAV). Elle n’a pas eu le poids politique qu’ils espéraient. Il ne s’agissait pas d’une fusion. Mais ne craignez-vous pas de rencontrer le même échec ?

Beaucoup d’expériences échouent dans la vie et cela ne constitue pas un problème. Cela est même naturel. En ce qui concerne Al Adala, Ennahda et El Bina, on est d’accord autour du fait que cette alliance soit stratégique et unificatrice. Nous sommes également d’accord  pour aller vers un congrès unificateur avant septembre 2017. On espère que toutes les conditions soient réunies pour nous aider à concrétiser notre accord. S’il y a de nouvelles données, là c’est autre chose.

Vous connaissez bien monsieur Derbal. Est-ce que sa désignation à la tête de la Haute instance de surveillance des élections vous rassure en ce qui concerne la transparence du scrutin ?

Personnellement, cela ne me rassure pas. Et cela n’a rien à voir avec la personne. Je ne veux pas personnaliser le débat. Le problème est lié au système qui n’est pas sincère par rapport la revendication de l’opposition. Début 2014, nos députés avaient présenté un projet de révision de la loi électorale qui proposait notamment l’instauration d’une instance nationale indépendante à laquelle doivent être confié les élections du début jusqu’à l’annonce des résultats. Le bureau de l’Assemblée populaire nationale a rejeté ce projet.

Au sein de la CLTD puis au sein de l’Icso, des partis politiques ont milité pour imposer l’instance afin de garantir la transparence des élections. Le pouvoir a adopté l’idée et l’a inscrite dans la Constitution en la vidant de tout ce qui fait d’elle une instance indépendance. Nous avons expliqué qu’il y avait certaines conditions à respecter. La désignation des membres et du président par exemple ne garantit pas la transparence et l’indépendance.

Vous avez été évincé des deux premiers partis que vous avez créés. Êtes-vous rassuré aujourd’hui après les changements opérés par le président Bouteflika au sein de l’armée et du DRS au moment où vous préparez le congrès unificateur ?

Le manque de compétence et la mauvaise gestion dans le pays ne sont pas l’apanage d’une catégorie bien précise au sein du pouvoir ou d’une institution dans le système. Dans le corps de l’être humain, quand le problème est lié à un seul organe, on peut parfois le régler en l’amputant mais quand il s’agit d’un cancer métastasé, on ne peut pas opter pour l’amputation (d’un seul membre, NDLR). La corruption (incompétence et mauvaise gestion) en Algérie est diverse et gangrène toutes les institutions de l’État et même la société.

La raison est liée à la déliquescence au sein du système politique et l’incompétence et la mauvaise gestion des hommes et des élites chargés de la gestion des affaires de l’État de façon générale. Même s’il peut y avoir des exceptions. Ces élites ne croient pas à la souveraineté du peuple. Ils ne croient pas au fait que ce soit le peuple qui  donne le pouvoir à celui en qui il a confiance et que le devoir de l’administration et du pouvoir est de réunir les conditions qui lui permettent de faire le bon choix.

Pour revenir à l’intervention (des services du DRS dans les affaires internes des partis politiques, NDLR), celle-ci était sous instruction de la présidence et de hauts fonctionnaires de l’administration aussi. Et puis, qui a dit que les services de renseignements ont disparu ? Ce sont des paroles destinées à la consommation des médias. La vérité est ailleurs.

Un rapport de parlementaires français évoque les ambitions du chef d’état-major qui « se verrait bien probablement en successeur du chef de l’État ». Qu’en dites-vous ?

En réalité, je ne suis pas très intéressé par ces questions parce qu’elles n’ont plus aucune valeur. Ceux qui dirigent, ceux qui décident et ceux qui veulent rester au pouvoir sont connus par tout le monde. En fait, il faut travailler à d’autres niveaux, notamment sur la population qui est en retrait de la politique et qui a abandonné son rôle. Il faut faire un effort pour la sensibiliser et lui rappeler que si elle reste en retrait, ce sera elle qui en souffrira le plus.

La succession n’est pas une question importante pour vous ?

Les expériences précédentes ont montré que la corruption (incompétence et mauvaise gestion) n’est pas l’apanage d’une seule personne. La corruption est dans le système. Toutes les élites sont corrompues. Que changera-t-il quand quelqu’un part et est remplacé par un autre ?

Donc, Abdelaziz Bouteflika ou Ahmed Gaïd Salah, c’est la même chose ?

Tant que le système politique reste tel quel, il ne faut s’attendre à aucune réforme fondamentale ou réelle. Des mesures peuvent être entreprises pour embellir l’image mais ce sera du bricolage. Il ne faut pas nourrir des espoirs à partir des rumeurs.

La question liée aux ambitions de Gaïd Salah pose la question de la place de l’armée dans la politique…

Pourquoi ? Quand est-ce que l’armée s’est retirée de la gestion des affaires de l’État ?

Cela ne faisait-il pas partie des objectifs tracés avec les changements opérés par le président Bouteflika ?

Nous entendons ce discours depuis l’époque de Ahmed Ben Bella. La règle maintenant dans les médias et en politique, c’est la propagation du mensonge. Mentir puis mentir jusqu’à ce que ça devienne vérité.

Des partisans du Président évoquent un cinquième mandat. Pensez-vous que ce soit possible ?

Cette question vous donne un aperçu sur la superficialité et la corruption intellectuelle qui caractérisent la pensée de certaines élites qui n’ont pas d’autres moteurs que leurs intérêts personnels, même si elles scandent le slogan de l’intérêt public. Faisons une évaluation du pouvoir depuis 1999 jusqu’à la Constitution de 2016 : est-ce que celui qui a détruit les principes de la société, le changement démocratique et le développement économique a le droit de parler d’un autre mandat ?

Est-ce que le Président est le seul responsable de ce bilan noir que vous dressez ?

C’est le premier responsable. Mais ceux qui l’ont accompagné partagent également la responsabilité.

Ahmed Ouyahia a envoyé une instruction aux chefs des services de sécurité pour interdire toute activité ou déplacement hors de la capitale à Ali Benhadj. Comment expliquez-vous cette décision ?

De quel droit on l’interdit de ses droits ? Mes positions sur l’arrêt du processus électoral et ses conséquences sont connues. J’ai refusé la dissolution du FIS et j’avais conseillé les autorités de ne pas le faire. Ce qui s’est passé n’est qu’un épisode de cette série. Personnellement, je crois en le droit de tout citoyen de jouir de tous ses droits.

Il n’est du droit de personne de gérer les droits et les devoirs d’un autre avec des décisions administratives. C’est une décision répressive ! Je crois que la meilleure manière pour découvrir le poids réel de toute personne est la liberté. Ces dispositions policières liées au système totalitaire encouragent l’intégrisme, la violence et la colère de la population.

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