La grande fête de la lecture

Selfies à profusion et séance de dédicace debout. Eternel chapeau sur une crinière plus sel que poivre, Waciny Laredj est entouré de ses admirateurs, des adultes mais aussi beaucoup de jeunes, parfois des écoliers, intimidés par l’homme à la corpulence imposante. Surpris par tant de sollicitude ? Pas le moins du monde. «On a des lecteurs de tous les âges et de toutes les catégories au Salon. Il y a un réel engouement pour le livre. A ma vente-dédicace la quasi-totalité étaient des jeunes», se réjouit l’auteur encerclé lors de sa séance de vente-dédicace de son dernier livre Nissa Casanova (Les femmes de Casanova) dans le très exigu stand de l’ENAG. L’auteur du très remarqué Kitab Al Amir (Le livre de l’Emir) publié chez Actes Sud était aussi sollicité lors de sa conférence sur la genèse de son dernier livre au pavillon central. L’ouverture du Salon international du livre d’Alger (SILA) a coïncidé avec les vacances. Dans les couloirs de l’imposante structure, héritage des années du gigantisme boumediénien, sur les larges espaces, des visiteurs sont surtout des familles. La lecture, c’est parfois une histoire familiale. La contagion atteint parfois toute la tribu. «Je forme avec mes quatre enfants un club de lecture. L’aînée Zineb est la première de sa classe à l’école Ighil Azzoug Bouakaz à Béjaïa-ville. Elle se pique de poésie et a compliqué une plaquette qu’elle a intitulée Zinabiet, à partir de son prénom. Une autre de mes filles fait des merveilles en tamazight», raconte tout sourire Souad Asloudj, enseignante d’arabe à Béjaïa qui compte publier un livre de fiction. Le soleil radieux fait oublier l’agitation de la ville et même la sortie algéroise du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, qui a provoqué des bouchons sur plusieurs tronçons. Il y aurait moins de monde que les éditions passées dans les allées de la Safex, Pins maritimes. Effet de la crise ? Désaffection du lectorat ? «Je confirme qu’il y a moins de visiteurs que d’habitude. Je n’ai pas de réponse toute faite. Mais il faut dire qu’il faut s’intéresser au livre durant toute l’année. Le rôle incombe aux institutions de l’Etat, mais pas seulement. Le Salon, c’est un peu l’aboutissement de tout ce travail», estime Bachir Mefti, auteur et éditeur d’El Ikhtilef, dont le stand a accueilli à l’ouverture du Salon le jeune et génial auteur Saïd Khatibi, qui s’est intéressé au parcours chaotique d’Isabelle Eberhardt. Autre tendance baissière : le livre religieux n’est pas aussi vendu que lors des anciennes éditions du SILA. «Je l’explique par la disponibilité du livre dans les librairies. Mais le phénomène nouveau : des ‘barbus’ achetant des essais philosophiques. Donc, il faut se garder d’avoir une idée ferme sur ces lecteurs», explique l’auteur, qui a remarqué «un intérêt grandissant» pour les romans. Pour l’éditeur Karim Chikh, la baisse de la fréquentation au Salon était «prévisible». «Je ne suis pas surpris. C’est peut-être l’effet de la crise. Les gens préfèrent économiser. Ils ont d’autres préoccupations, comme par exemple honorer les échéances des crédits. On continue toutefois à recevoir du monde qui achète des œuvres littéraires et des essais. Il faut savoir que les Algériens achètent surtout ‘‘pratique’’ en ciblant des publications bien déterminées», signale Karim Chikh, responsable des éditions Apic dont le catalogue est étoffé par de nouvelles publications très demandées, comme le très polémique La Morsure du coquelicot de Sarah Haider ou Vivement septembre de notre collègue oranais, Akram El Kébir. Tenant à son esprit Panaf’, Chikh continuera d’éditer des auteurs du continent noir, comme le Guinéen Tierno Monénembo dont le dernier roman, Peuls, sera publié par Apic l’année prochaine. Asia Baz, éditrice à l’ANEP, n’a pas remarqué, elle, une baisse de la fréquentation. «Notre stand est fréquenté par autant de monde qu’avant. Les gens ne viennent pas toujours pour acheter. Il y en a qui veulent déposer un manuscrit, ou s’informer sur le circuit de l’édition», détaille Asia, très affairée dans le stand d’une blancheur immaculée, où se retrouvent pour des séances de ventes-dédicaces des auteurs connus et à la réputation assise comme Ammar Belhimer et Mohamed Balhi, et d’autres auteurs en herbe «très demandés par les lecteurs», s’étonne agréablement Asia Baz. Le nouvel exil de Farès Le SILA a gardé ses mêmes (mauvaises) habitudes : désorganisation, conférences déprogrammées, auteurs malmenés. Mais surtout le manque de communication du Salon confié cette année encore à l’éditeur ENAG. «Il y a beaucoup de bonnes choses chez les éditeurs. Dommage qu’il y ait un manque de visibilité pour les événements organisés. Le Salon reste très commercial. Le public cherchent surtout des livres religieux mais aussi polémiques, qui sont médiatisés», explique l’écrivain-journaliste Ali Chibani, venu au Salon dédicacer ses publications sorties chez le très sérieux éditeur Arezki Aït Larbi (Koukou Ed). L’auteur de Mes poches vides, mon miroir brisé est amer. «C’est honteux que les organisateurs n’aient pas prévu quelque chose qui soit digne de Nabil Farès, décédé dernièrement. Arezki Aït Larbi n’a pas été invité à un hommage sur Farès. C’est grave qu’on en soit jusqu’à exclure même les morts. L’éditeur a demandé aux organisateurs de l’inviter. Une présentation a été adressée à un des membres de l’organisation. La réponse n’est pas venue», s’indigne Chibani, qui a présenté le livre de Farès publié par Koukou : Maghreb, étrangeté et amazighité. Heureux les auteurs qui n’ont rien vu ni lu.

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