«Il faut se saisir de l’arme du dialogue pour faire taire le dialogue des armes»

Pour que le dialogue soit utile et porteur, il est impératif, indique M. Goumeziane, de démontrer et confirmer les responsabilités des uns et des autres et de clairement citer les responsables. Le Salon international du livre d’Alger (SILA) a abrité une conférence sous le titre : «Islam-Occident : du dialogue au doute ?». Un débat auquel l’enseignant à l’université Paris Dauphine et économiste de renom, Smaïl Goumeziane, a participé en mettant l’accent sur la nécessité d’inscrire ce dialogue dans son contexte historique, c’est-à-dire ne pas le réduire à un dialogue entre le «concept creux» qu’est l’Occident et l’islam comme un bloc (religion et Etat) responsable du terrorisme, mais ouvrir un dialogue entre deux civilisations humaines capables toutes deux du meilleur comme du pire. Pour que le dialogue soit utile et porteur, il est impératif, indique M. Goumeziane, de démontrer et confirmer les responsabilités des uns et des autres et de clairement citer les responsables, en fustigeant en premier lieu les groupes militaro-industriels qui sont une menace pour les libertés et les Etats. L’Orient, morcelé et divisé en entités éparses, a disparu pour laisser place au concept de «terre d’islam» par lequel on désigne aujourd’hui le coupable de tous les crimes perpétrés en son nom. L’Occident y a trouvé les caractéristiques d’un nouvel ennemi. «En particulier depuis la chute du Mur de Berlin et la répression sur la place Tien An Men, l’Occident n’ayant plus l’ennemi stalinien à ses portes, ni en Europe, ni en Asie, s’est trouvé, mondialisation oblige, à la recherche d’un nouvel ennemi. Il ne fallut pas chercher longtemps. Pour diverses raisons, le monde musulman, affaibli aussi bien par les effets désastreux du système colonial que par ses convulsions internes post-coloniales, allait devenir cet ennemi.» Ses richesses ont bien encouragé les convoitises, comme le précise le docteur Goumeziane dans son intervention. «L’espace musulman est devenu le plus grand charnier à ciel ouvert» «Cet espace constitue le bassin énergétique mondial (plus de 50% des réserves mondiales de pétrole et d’importants gisements gaziers) dont il faut s’assurer le contrôle à tout prix. Par ailleurs, la zone est devenue le principal marché de l’armement au monde (l’Arabie Saoudite en est devenue le premier client) et de dépenses militaires gigantesques (plus de 6000 milliards de dollars pour les guerres en Afghanistan et en Irak entre 2001 et 2011) dont il faut s’assurer l’expansion en y maintenant, voire en aggravant son insécurité. Enfin, la région, où les oppositions démocratiques ont été étouffées, réprimées et laminées, reste le lieu de rivalités intestines entre divers projets autoritaires concurrentiels, d’inspiration religieuse et/ou nationaliste qu’il faut, selon le cas, s’allier, combattre ou attiser.» Partant de ce postulat, l’espace musulman est devenu, indique l’orateur, le plus grand charnier à ciel ouvert. «Depuis les années 1980, celles de l’émergence de la mondialisation, de la fin de la Guerre froide, de l’expansion de l’islamisme politique et du terrorisme et des guerres en Afghanistan et en Irak, les différents conflits étendus à toute la région se sont soldés par près de trois millions de morts, en très large majorité musulmans, plus de dix millions de personnes déplacées et plusieurs millions de réfugiés», énumère le conférencier, regrettant qu’il n’y ait aucune perspective à court terme pour que cela s’arrête, ni en Palestine, ni en Afghanistan, ni en Irak, ni en Syrie, ni en Libye, ni au Yémen. Smaïl Goumeziane estime que ces conflits ont pour enjeu principal d’abattre la liberté. «Ces conflits, qui s’étendent par terrorisme interposé à bien des villes en Occident, opposent non pas l’Occident à l’islam, mais les partisans de la liberté (celle de l’islam originel et de la démocratie universelle) à ceux qui, partout, prônent la domination, l’oppression et le déni de justice à l’égard de leurs peuples ou à l’égard des peuples dont ils veulent confisquer la terre, les biens et les ressources.» M. Goumeziane soutient que ce n’est pas la religion qui refuse de se séparer du politique, mais l’inverse. «Vouloir culpabiliser l’islam reviendrait à déresponsabiliser les véritables coupables humains des tueries et massacres. Dans les pays musulmans, mais aussi en Occident», indique l’orateur. Et d’ajouter : «Même la ‘démocratie nationale’ des pays occidentaux, sa pratique hégémonique de ‘la liberté pour les uns et de la domination et de l’oppression pour les autres’, ses visées impérialistes et néocoloniales, son ‘moneythéisme’ (religion matérialiste de l’argent), ses injustices et ses inégalités criantes n’ont rien à envier aux pouvoirs autoritaires des pays musulmans. Et le terrorisme aveugle, d’où qu’il vienne, n’est que l’avatar le plus monstrueux et le plus tragique de toutes les violences politiques, économiques, sociales et même culturelles engendrées par toutes les convoitises et les luttes d’intérêts qu’elles suscitent.» Pour le conférencier, le terrorisme djihadiste n’est pas un «produit de l’islam ni de la seule histoire musulmane, mais celui de l’époque, de ses tensions, de ses distorsions, de ses violences, de ses injustices et de ses désespérances… Le désordre sur terre n’est pas le fait de Dieu, c’est celui des hommes. Des conflits qui mettent aux prises les ennemis de la liberté comme valeur universelle, et les partisans de la liberté pour tous». Face à un tel duel qui tend à faire couler davantage de sang sur cette terre, la voie du dialogue s’avère nécessaire et salutaire. «Un dialogue libre, transparent, sans arrière-pensée ni tabou, loin des invectives et de l’anathème… rassemblant le plus grand nombre, pour aboutir, à travers une gestion pacifique des conflits, à la fin de toute hégémonie, de toute domination et à l’expansion de toutes les libertés dans tous les espaces», plaide M. Goumeziane en notant que ce dialogue doit se faire avec les ennemis intérieurs et extérieurs des peuples, au niveau de l’ONU et des Etats, avec les citoyens, qu’il soit aussi interreligieux et intrareligieux. «Il faut se saisir partout de l’arme du dialogue pour faire taire le dialogue des armes», dit Smaïl Goumeziane, dont le livre, L’Islam n’est pas coupable, est disponible au SILA.

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