Le drapeau que portait Saâl Bouzid

Saâl Bouzid. Ainsi s’appelle le premier chahid de la répression coloniale à Sétif. Il a été fauché par les balles de la police ce matin du 8 mai 45. Un mardi. Le jeune Saâl Bouzid est tombé le drapeau à la main. C’était, d’ailleurs, son seul «tort»: battre le pavé en déployant cette bannière blanc-vert-rouge. Il s’agit, sans aucun doute, de l’un des nombreux drapeaux confectionnés et distribués par le PPA cette année-là en prévision des manifestations qui devaient accompagner l’annonce de l’Armistice. Ce drapeau, comme tous les autres qui ont été brandis au cours de ces manifs, porte la griffe de Chawki Mostefaï. Cette histoire émeut, aujourd’hui encore, le vieux militant nationaliste. Dans le témoignage qu’il avait produit sous l’égide de l’association du 11 Décembre 1960, le docteur Chawki Mostefaï revient par le menu sur les circonstances qui l’avaient amené à concevoir l’emblème national tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il commence par préciser que le PPA avait mis un point d’honneur à participer aux défilés de la victoire avec son propre étendard. Fidèle à sa ligne indépendantiste, il n’était pas question, en effet, pour la direction du parti de pavoiser sous la bannière du colonisateur. «C’est ainsi que nous décidâmes, au sein du Comité Directeur, de défiler le jour des manifestations de la victoire, en arborant le drapeau de l’Etoile nord-africaine et du PPA en tête des cortèges», raconte le docteur Mostefaï. «Hocine Asselah reçut pour mission de la Direction de retrouver un exemplaire du drapeau avec lequel Messali Hadj avait défilé en 1937 du [stade de Ruisseau] à la Grande-Poste : drapeau, écrira plus tard ce dernier dans ses mémoires, qui avait été conçu et cousu par Mme Messali elle-même. La recherche de Hocine Asselah s’avéra infructueuse et au bout d’une semaine, il nous avisa que, même au musée Franchet d’Esperay qu’il avait visité pour la circonstance, il n’y avait pas trace du drapeau de Mme Messali. Ce que voyant, nous décidâmes d’en fabriquer un, aux couleurs suggérées par différentes personnes, à savoir : vert, blanc et rouge». Chawki Mostefaï indiqua, durant notre entrevue, qu’il s’agit précisément d’un vieux militant qui se souvenait des couleurs de l’ancien drapeau et qui en fit la description à Hocine Asselah. «Nous fûmes désignés, poursuit Mostefaï dans son témoignage écrit, Hocine Asselah, Chadly El Mekki et moi-même afin de concevoir un ou plusieurs modèles de drapeaux, que la Direction adopterait. A nous trois, nous décidâmes de nous réunir le lendemain au lieu de nos réunions, rue Socgemaa (Souk El Djemaâ) dans l’appartement de deux pièces du 2e étage mis à la disposition de l’Organisation par Moufdi Zakaria et Henni Mohamed, surnommé Daki, pour les besoins de l’organisation du Parti, laquelle relevait de la responsabilité de Saïd Amrani. (…). C’est là qu’une certaine matinée du mois de mars ou d’avril (1945, ndlr), je me suis rendu avec, dans la poche, mon équerre et mon compas, des feuilles blanches et une boîte de crayons de couleur bien taillés, ainsi que des esquisses de différentes combinaisons de drapeau. La discussion a porté sur les positions relatives de l’étoile et du croissant, sur les couleurs, sur la signification et les symboles des motifs envisagés. Le choix définitif de la Direction s’est porté sur le modèle actuel, à savoir : le croissant à cheval sur le vert et le blanc et l’étoile dans le blanc à l’intérieur des deux branches du croissant». Lors de notre entretien, le docteur Mostefaï nous a précisé que l’idée qui le taraudait aussi était de réaliser un drapeau qui fût pratique et facile à reproduire. Il n’a pas manqué, cependant, d’en arrêter les dimensions : largeur, hauteur, épaisseur du croissant, proportions et positionnement de l’étoile…Une fois le drapeau conçu et adopté, il fut aussitôt reproduit à volonté. «Nous l’avons distribué dans toutes les kasmas du parti en prévision des prochaines manifestations», nous dit Chawki Mostefaï. Dans son récit, l’ancien membre de l’Exécutif provisoire apportera une nuance de taille : «Avant de clore ce chapitre, je crois devoir préciser que dans notre esprit, nous venions de créer un emblème auquel s’attache une volonté de différenciation, de scission avec le symbole tricolore de la souveraineté française, nous n’avions pas créé le futur drapeau de la nation algérienne. Ce sont les événements, c’est par la force des choses que cet emblème a acquis ses droits de cité, c’est par la puissance de l’idéal qu’il sous-tendait ; c’est par l’abnégation et l’esprit de sacrifice de ceux qui l’ont porté avec honneur et gloire. Ce sont les milliers et les centaines de milliers de chouhada qui ont donné leur vie pour qu’il reste debout, face au vent et à l’ennemi ; c’est pour tout cela qu’il est devenu, par le vert, le symbole de l’espérance et du progrès, par le blanc, le symbole de la paix, par l’étoile et le croissant, le symbole de l’Islam. Progrès, Paix, Allah ; ce fut une étrange coïncidence avec les trois lettres du Parti du Peuple Algérien (PPA), inventeur et artisan de l’Indépendance nationale».  

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