Lutte contre l’informel : la « naïveté fiscale » du ministre des Finances

Confronté à un effondrement des recettes fiscales de l’État, le ministre des Finances, Abderrahmane Benkhelfa fait face à un dilemme : maximiser les rentrées, avec une tentation à augmenter les taxes et impôts, ou intégrer le secteur informel qui représente une large part de l’économie du pays, « 60% », selon Amara Benyounes.

Benkhalfa lance donc un appel au « civisme fiscal ». Certes. Seulement, un ministre devrait arrêter des mesures, prendre des décisions fermes et non pas simplement espérer que les acteurs économiques, dans un élan de patriotisme, décident de payer volontairement plus d’impôts, sans réelle contrepartie. Décryptage

Une pression fiscale trop forte : inverser la logique

En Algérie, la pression fiscale se concentre sur une poignée d’entreprises qui sont réellement de « bons assujettis » à l’impôt, pour reprendre la formule de Benkhalfa. Comme l’a relevé le ministre lui-même, seules les grandes entreprises paient réellement leurs impôts, à l’inverse des petites et moyennes entreprises (PME). Ces grands groupes sont souvent de bons payeurs, plus par peur de représailles, car plus exposés, que motivés par un plus grand sens de la citoyenneté.

La taxe sur la valeur ajoutée, fixée à 17%, se situe dans la moyenne haute du bassin méditerranéen. Plus généralement, la pression fiscale est considérée comme une des plus élevées dans le monde, avec une 179e place sur 189 pays, selon un classement du cabinet PwC et de la Banque mondiale. Par ailleurs, l’instabilité juridique (et donc fiscale) constitue un facteur décourageant supplémentaire pour les entreprises algériennes.

Ainsi, la justesse et la pertinence des propos de Benkhalfa sur la nécessité « d’élargir l’assiette fiscale », est aussitôt annulée par sa promesse de ne baisser les taux d’imposition qu’au fur et à mesure de l’acquittement des impôts pas les entreprises…

Là est toute la « naïveté fiscale » du ministre des Finances : la logique voudrait que le ministre inverse l’ordre des choses, en abaissant d’abord les impôts, pour créer un véritable effet d’incitation. Ainsi, l’on compenserait une baisse des taux par un effet de masse.

Une telle politique comporte évidemment des risques. Il aurait été plus facile de la mener en période « d’opulence » financière et non pas dans le contexte actuel de crise pétrolière (et budgétaire, pour l’Algérie). Ainsi, une telle tentative doit être accompagnée d’une série de mesures pour garantir sa réussite.

Tout un environnement fiscal à revoir

Mais ce n’est pas tout. Lorsqu’une entreprise acquiert du matériel, des équipements, ou réalise des travaux, le fournisseur ou prestataire de services, souvent activant dans l’informel, ne délivre pas de factures en bonne et due forme. Au mieux, il accepte de faire un bon, chose qu’il est impossible d’intégrer dans les charges de l’entreprise. Ainsi, l’entreprise se retrouve doublement pénalisée, car ces frais sont rejetés en tant que tels et réintégrés dans le chiffre d’affaires. Ces dépenses se retrouvent donc assujetties à l’impôt.

Dans ces conditions, lorsqu’une entreprise souhaite travailler dans la légalité, elle se retrouve doublement pénalisée, du fait de l’absence d’un environnement économique adéquat. Toute la structure et le fonctionnement de l’économie algérienne doit donc être revue afin d’éviter, décourager et résorber le phénomène de l’informel.

« Marketing fiscal » ou comment prêcher dans un désert

« L’enfer est pavé de bonnes intentions », dit l’adage. La volonté de Benkhelfa de faire du « marketing fiscal » vient sans doute d’une bonne intention. Mais dans ces conditions, le ministre des Finances fait preuve d’une naïveté déconcertante, en pensant qu’un simple « appel au civisme fiscal » pourrait contribuer à résorber l’informel. Autant prêcher dans le désert. Ce « marketing fiscal » pourrait, en soi, être une bonne idée. À condition qu’il arrive en bout de chaîne. Et non présenté comme la mesure révolutionnaire qui garantira les recettes fiscales de l’État.

Un acteur économique cherche son intérêt, celui de son entreprise et, pour la plupart, l’intérêt du pays. Mais pas celui de l’administration fiscale : tant que les incitations à payer les impôts sont inexistantes, il est illusoire de compter sur la seule bonne volonté des entrepreneurs (formels ou informels) pour récolter plus d’impôts. Il appartient à l’État de faire en sorte que l’intérêt du fisc (récolter les impôts) corresponde, en échange, à l’intérêt des acteurs économiques à travers les prestations d’un service public satisfaisant.

Pas d’incitations à payer l’impôt…

Justement, les niveaux d’imposition pratiqués actuellement pèsent très lourd sur les PME du pays. Pour les TPE, les taux sont simplement prohibitifs. En réalité, tout pousse les acteurs économiques à l’informel : la bureaucratie, les lenteurs et le poids des impôts sont autant d’éléments qui n’encouragent nullement les entreprises à s’insérer dans le circuit de l’économie officielle.

Pire : il est difficile de percevoir, de nos jours, l’utilité de payer ses impôts. Ces derniers ouvrent droit, ailleurs, à un système de sécurité pleinement rassurant, à des transports publics performants, à l’entretien de routes aux normes, à une administration efficace et à toute une série de services publics (santé, éducation…) qui rendent le paiement des impôts attrayant.

Force est de constater que ce n’est pas toujours le cas en Algérie. Que gagne un acteur de la sphère informelle à intégrer le circuit officiel ? Moins d’argent, en raison de la pression fiscale, de nombreuses tracasseries administratives et des services publics assez médiocres.

Même les « campagnes de sensibilisation » des agents des impôts pour pousser les acteurs de l’informel à payer l’impôt forfaitaire unique (IFU) sont vouées à l’échec, tant il n’est pas intéressant de s’y soumettre. Même l’amnistie fiscale (ou mise en conformité fiscale volontaire) ne crée pas d’engouement, pourtant avec un taux symbolique de 7%.

… Ni de sanctions dissuasives pour les contrevenants

Par ailleurs, l’idée de compter sur la « gentillesse » des contribuables serait suicidaire, en particulier dans le contexte algérien où rien ne les y oblige. Il s’agit donc d’accompagner cette série de mesures fortes pour dissuader les acteurs de s’insérer dans l’informel.

Autant de fortes incitations à intégrer le secteur officiel sont nécessaires, il faut absolument que les sanctions pour les contrevenants soient réellement dissuasives. En effet, une « carotte » est largement plus attrayante lorsque l’on craint un violent retour de bâton.

Ainsi, les amendes doivent être sérieusement revues à la hausse, assorties de peines de prisons conséquentes. Surtout, les contrôles du fisc et les différentes brigades de répression des fraudes doivent être largement renforcés et systématisés.

Prenons l’exemple de la France : face à la hausse de l’exil fiscal des citoyens français vers des pays aux impôts plus cléments, le gouvernement français a pris des mesures fortes. Un abandon des poursuites et des pénalités pour les contrevenants repentis. Mais toujours avec la fermeté de l’État qui exigeait le paiement des arriérés d’impôts. Surtout, les services fiscaux français promettaient « d’aller chercher » les récalcitrants, qui étaient alors assurés de passer devant la justice, voire par la prison ferme.

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