Le procès Sonatrach 1 s’est pousrsuivi hier avec l’audition d’une quarantaine de témoins, dont une vingtaine n’ont pas de lien direct avec les faits. L’ancien vice-président Hocine Chekired renvoie la balle à son successeur Benamar Zenasni qui, selon lui, avait la possibilité d’annuler le contrat avec Saipem sans risque financier… Le procès Sonatrach 1 a repris, hier au tribunal criminel d’Alger, avec l’audition de la directrice juridique de l’activité transport par canalisation, Fadhila Laamoudi, membre de la commission d’ouverture des plis du projet GK3. Le juge : «En présence de deux soumissionnaires seulement, que faites-vous en général ?» «Normalement on annule, mais l’urgence du projet a fait que l’on a continué, mais après dérogation du PDG. C’est vrai que les prix de l’offre commerciale étaient un peu élevés. Mais comme c’était une région nouvelle pour Sonatrach, avec des reliefs un peu difficiles, on s’est que dit, peut-être c’est le montant. D’ailleurs nous n’avons pas informé Saipem dans les 48 heures, comme cela est de mise. Nous avons écrit une lettre à la hiérarchie pour lui faire état de nos remarques. Nous ne voulions pas assumer cette responsabilité», répond Mme Laamoudi, avant de céder sa place à Hocine Chekired, vice-président du transport par canalisation, auquel a succédé Bennamar Zenasni. M. Chekired commence par une longue présentation de l’organigramme de Sonatrach et un bref aperçu du GK3, «troisème gazoduc qui renforce les deux premiers». Le juge s’intéresse au budget de Sonatrach et le témoin est formel : «Le groupe Sonatrach est financé par ses propres fonds, il est autonome.» Il affirme que le GK3 a démarré à l’époque où il était vice-président : «Le projet était important et urgent. Nous avons lancé un avis d’appel d’offres ouvert, auquel 23 sociétés ont soumissionné mais seules 11 ont été retenues pour les lots 1 et 2 ; 6 l’ont été pour le lot 3. Toutes devaient retirer les offres, mais sur les six, trois seulement l’ont fait et deux les ont déposées.» Et d’ajouter : «La R15 est une procédure interne réglementaire. Elle a été signée par le PDG, seul garant de son respect et de son contrôle…» Le juge : «Pourquoi déroger à cette procédure ?» Le témoin : «Lorsqu’il fait une dérogation d’urgence, il sort de la procédure. Cela arrive très rarement. Mais le PDG détient ce pouvoir…» Le juge revient au contrat. «La R15 est muette quand nous sommes devant deux offres techniques seulement. Nous avons demandé au PDG, par écrit, de nous permettre de continuer avec deux. Il a accepté. Mais à ce moment-là, j’ai été nommé PDG de Tassili Airlines. Mon successeur a repris le dossier», répond Chekired. Le juge : «Est-ce qu’il pouvait faire marche arrière ?» Le témoin : «L’article 15 dit que durant la période technique, la société peut annuler le projet sans contrepartie financière. Il avait donc la possibilité technique de l’annuler. Mais lorsqu’on est responsable et qu’on voit l’importance de ce projet…» Le juge : «Zenasni dit avoir pris le train en marche…» Le témoin : «Il pouvait agir…» A propos de la non-publication du projet sur le Bulletin des appels d’offres du secteur de l’énergie et des mines (Baosem), Chekired affirme : «La R15 est claire sur le sujet. Le marché et ses attributaires doivent être publiés au Baosem.» Le juge : «Pourquoi, selon vous, les mêmes marchés de télésurveillance, qui sont urgents, ont été publiés par l’Aval et non pas par l’Amont ?» Le témoin n’a pas de réponse. Un des avocats l’interroge sur la nature des fonds de Sonatrach, Chekired répond qu’il s’agit de ses propres fonds générés par ses activités, précisant que Sonatrach appartient néanmoins à l’Etat. Le juge lui rappelle les propos de Yahia Messaoud, selon lesquels les prix de Saipem étaient plus élevés de 118% par rapport au budget. Le témoin : «Le coût prévisionnel est élaboré par un groupe de travail composé d’ingénieurs et de techniciens. Peut-être que le budget a été établi bien avant. En fait, l’évaluation simplifiée donne un coût moyen de 1,2 million de dollars le kilomètre linéaire de pipe en 2007 et 2008. Mais une autre étude comparative, à laquelle a pris part Yahia Messaoud, a estimé la hausse à 60%. Moi, je l’aurais annulé. Pour évaluer le prix, une expertise était nécessaire. Il faut reconnaître cependant qu’il est très difficile d’assumer cette responsabilité. Je m’explique : si le prends l’offre sous l’angle financier, je suis perdant, donc j’annule. Si je la vois sous l’angle stratégique, je suis également perdant. La décision n’est vraiment pas facile à prendre...» A propos du recours aux sociétés nationales, Chekired est formel : «Elles n’ont pas les capacités de réaliser ce genre de projet. De plus, la majorité des projets confiés aux sociétés algériennes accusent de grands retards.» Il revient sur le contenu de la R15 et, avant elle, de la R14. «Ces procédures internes sont indispensables. Sonatrach fait des transactions par milliards de dollars chaque année. Elles ont des points forts et des points faibles qui sont à chaque fois revus et corrigés. Il y va de l’image de marque de la compagnie. Les contrats de gré à gré sont faits dans la transparence. Le plus important est de ne pas rompre la chaîne des valeurs.» A une question sur l’étape située entre l’offre technique à laquelle il a assisté et celle, commerciale, prise en charge par son successeur, le juge préfère confronter le témoin à Benamar Zenasni. Il commence par ce dernier, qui déclare : «Entre les deux étapes, il y a eu la commission d’évaluation des offres techniques qui a fait un rapport à la commission commerciale.» Le juge : «Chekired dit que vous auriez pu annuler…» Zenasni : «Pourquoi ne l’a-t-il pas fait lui-même ?» Le juge se tourne vers Chekired, qui souligne : «Le PDG m’a donné son accord le 19 octobre ; le 26 octobre, il y a eu l’ouverture des plis ; le 29, je suis parti. La R15 dit que l’annulation peut se faire après l’évaluation technique, période où Zenasni était en poste. Il aurait pu le faire. Il avait quatre mois de négociations. Même s’il reste deux soumissionnaires, nous sommes encore dans l’offre technique.» Un avocat lui demande pourquoi le groupe Sonatrach a été exclu du code des marchés publics. Le témoin : «A mon avis, cette exclusion est liée au fait que la compagnie n’est pas financée par le Trésor public. Elle a ses fonds propres, sinon son budget serait prévu par la loi de finances.» Interrogé sur les cas de marchés d’étude, le témoin affirme que la R15 évoque les contrats matériels et non pas immatériels qui, selon lui, relèvent de l’activité qui les lance. Le juge passe au troisème groupe de témoins liés aux contrats d’étude et de réhabilitation du bâtiment de Ghermoul. Le président de la commission d’ouverture des plis, Abdelmadjid Larari, ne sait rien du marché de gré à gré attribué au bureau d’étude CAD ni de celui affecté à Imtech malgré son statut. Sidi Mhamed Benamar, membre de la commission d’évaluation des plis, déclare «n’avoir pas siégé» pour l’étude de l’offre du bureau CAD. Il réaffirme les propos qu’ils a tenus lors de l’instruction, selon lesquels il y a eu violation de la R14 en ne tenant pas la réunion de la commission d’évaluation. Mohamed Benabbès, directeur de l’administration et des moyens, lance d’emblée ne pas détenir des informations sur le contrat lié à l’étude de réfection. «Le dossier a été remis à l’activité de commercialisation. Un avis d’appel d’offres a été lancé, mais le dossier a pris trop de temps. Le vice-président de l’activité centrale a demandé sa restitution. Le bureau d’étude CAD était déjà retenu par le vice-président des activités centrales», explique le témoin. Le juge lui demande pourquoi être passé par une consultation internationale ouverte alors la R15 exclut celle-ci de cette procédure. Il répond : «Nous n’avions pas les compétences d’évaluer ou de préparer un cahier des charges pour un tel projet». A propos du marché de réfection, il revient sur la réunion provoquée par le vice-président de l’activité commercialisation, Chawki Rahal, consacrée aux «problèmes que nous subissions avec le voisinage et la vétusté des lieux. La discussion a débouché sur la nécessité de récupérer le dossier parce qu’il a pris trop de retard. Sur la liste des sociétés soumissionnaires, deux seulement répondaient aux critères de sélection. Mais la R15 stipule que dans ce cas, il faut annuler. En raison du retard enregistré et de l’importance du projet, nous avions décidé de demander une dérogation au PDG afin de continuer avec les deux.» Il confirme que le cahier des charges pour l’étude du bâtiment comporte une clause qui conditionne le choix des bureaux soumissionnaires par le fait qu’ils soient connus par Sonatrach. Interrogé sur la réunion avec le bureau CAD une journée après l’annulation de la consultation, il affirme : «Je ne pouvais pas l’informer parce qu’elle a obtenu le contrat de gré à gré…», ne cesse-t-il de répéter, avant de lâcher : «Le bureau CAD a été choisi au plus haut niveau de la hiérarchie», sans toutefois être capable d’être plus précis. Selon lui, Mouloud Aït Al Hocine «n’avait pas» le pouvoir décisionnel de poursuivre la procédure d’un contrat sans son accord. Mais, ajoute-t-il, en tant que président de la commission des offres techniques, il avait toute la latitude de décider. Il réaffirme ce que les autres témoins ont déclaré : «Lorsqu’il ne reste que deux soumissionnaires, le processus est annulé, mais il peut être poursuivi sur dérogation du PDG». Le témoin s’est demandé pourquoi Mouloud Aït Al Hocine a signé l’ordre de service alors qu’il était juste intérimaire. «Il aurait pu m’appeler et m’en parler. J’étais certes en vacances, mais joignable. C’était l’un des meilleurs cadres. Il ne s’agit pas de signer une autorisation de sortie. C’est un ordre de service...», lance-t-il. Il confirme que c’est le vice-président de l’activité commercialisation qui a ordonné le lancement de la soumission et décidé de l’annulation de celle-ci. Il reconnaît être le responsable de l’opération, mais à l’intérieur de la commission d’ouverture des plis il n’est qu’un membre comme les autres. Il dit ignorer le fait que CAD ait pu hériter des marchés de BRC, filiale de Sonatrach. Mohamed Karim Benzakour, chef de projet avant qu’il ne soit transféré à l’activité commerciale, confirme avoir reçu les plans du bureau d’études CAD, mais avec «plusieurs réserves», qui les rendent «inacceptables». L’avocat du bureau d’études exhibe les plans, avec les réserves, et le témoin précise qu’ils ne comportent pas sa signature. «J’ai émis plus de réserves dans le document que j’ai signé», note-t-il. Selon lui, dans le document présenté par l’avocat, il manque beaucoup d’éléments. Le dernier témoin est Benthabet Ali Dorbani, qui manquait à l’appel jeudi dernier. Il était actionnaire dans Contel Algérie et chargé des achats au groupement Contel-Funkwerk et actionnaire au holding Contel-Funkwerk. Il déclare ne pas avoir voyagé avec Reda Djaafer Al Smaïl en Allemagne, mais plutôt l’avoir rencontré sur place avec Meghaoui Yazid une seule fois, et le soir ils se sont retrouvés dans un restaurant, avant que Réda Meziane ne les rejoigne. «Il était avec un responsable allemand et Mohamed Reda Djaâfar. Ils se sont attablés un peu loin», dit-il. Le juge lui rappelle ses propos lors de l’instruction. Il déclare : «J’ai demandé à Djaâfar pourquoi Réda Meziane avait quitté le restaurant. Selon lui, il y a eu un différend avec Meghaoui». Le témoin confirme avoir bénéficié d’un montant de 5,5 millions de dinars comme dividendes du holding. Il affirme avoir été entendu par le DRS vers la fin du mois de décembre 2009, mais un avocat lui fait remarquer qu’il n’y a aucun procès-verbal de cette audition dans le dossier. «Comment se fait-il que vous soyez le seul actionnaire à avoir été entendu par le DRS ?» lui demande un autre avocat. Le témoin, un peu déstabilisé et énervé, déclare en ignorer les raisons, tout comme il dit ne pas savoir pourquoi il avait perçu deux fois les dividendes en une année alors que Réda Meziane n’en a reçu qu’une seule fois. Il évite d’évoquer le blocage de son compte à Bnp Paribas, préférant affirmer qu’il s’agit d’un «petit problème» réglé avec l’aide d’un huissier de justice. Le témoin élude toutes les questions des avocats et arrive à se soustraire aux réponses les plus banales, y compris celles liées à sa relation avec Fawzi Meziane, au point d’être incapable de dire si ce dernier était associé ou salarié dans le groupement. Il finit cependant par lâcher que Mohamed Réda «a bénéficié de dividendes du holding, dont les fonds proviennent du groupement Contel-Funkwerk qui a fait des bénéfices grâce à Sonatrach». Le tribunal criminel entendra aujourd’hui 14 autres témoins, dont les cadres dirigeants et membres du comité exécutif de Sonatrach, avant de passer à la plaidoirie de la partie civile.
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El Watan