Comment le destin de Hocine Aït Ahmed a basculé

Abdelmadjid Merdaci est sociologue et historien, maître de conférences à l’université Mentouri de Constantine. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et le coauteur, avec Benjamin Stora et Christian Boyer, d’une « Bibliographie de l’Algérie depuis l’indépendance » (CNRS Éd., 2011).

Quel rôle a joué Hocine Aït Ahmed durant la guerre de libération ?

Aït Ahmed a été un militant précoce. Il est emblématique d’une génération de lettrés algériens qui ont rejoint le courant nationaliste : Saâd Dahleb, Benyoussef Benkhedda, Abane Ramdane… À l’époque, ceux qui arrivaient à un niveau scolaire important étaient relativement rares et ceux parmi eux qui adhéraient au nationalisme et notamment au nationalisme indépendantiste étaient encore plus rares.

Très tôt et de manière très précoce, Aït Ahmed prend position pour le recours à la résistance armée et sera l’un des premiers à poser cette exigence dans les débats des indépendantistes du PPA. Il se retrouve à la tête de l’Organisation secrète (OS) à l’âge de 21 ans pour succéder à Mohamed Belouizdad. Evidemment, il a été aussi associé à l’organisation de l’insurrection à l’automne 1954. Il a immédiatement par la suite représenté la délégation extérieure du Front de libération national qui avait été mandatée pour négocier avec le MNA au Caire, en janvier 1955.

Qu’est ce qui a changé après le détournement de l’avion des cinq dirigeants historiques du FLN dont il faisait partie ?

D’abord, il faut rappeler que sur l’ensemble des dirigeants qui étaient à l’origine de l’insurrection, Aït Ahmed est l’un des rares à avoir approuvé les thèses du Congrès de la Soummam et à avoir clairement défendu Abane Ramdane même en n’ayant pas assisté (au congrès). Ce n’était pas le cas de Ahmed Ben Bella. Ni celui de Mohamed Boudiaf qui avait exprimé des réserves vis-à-vis de la Soummam et de Abane.

En octobre 1956, l’arraisonnement de l’avion éloigne donc Aït Ahmed des mutations du FLN/ALN (la réunion du CNRA d’Août 57, le conclave des colonels de septembre/décembre 1959). Loin des centres de décision, il sera confronté à de nouveaux rapports de force au lendemain du cessez-le-feu. Le destin d’Aït Ahmed bascule. Les médias et les politiques français ont érigé Ben Bella comme leader national de la guerre d’indépendance. Ce qui n’était pas du tout le cas. Ben Bella n’était que l’un des représentants de la direction. C’était le début d’un échec exemplaire.

Comment son destin a-t-il basculé ?

Au lendemain de la crise de l’été 1962, sans rentrer dans les détails du congrès de Tripoli, Aït Ahmed accepte de figurer sur la liste des candidats à l’élection de l’Assemblée nationale constituante. Cette liste est établie par Ben Bella et Boumédiène qui ont mis les noms de certains et écarté d’autres. Aït Ahmed avait accepté d’être député parachuté à Beni Ouartilène avant l’épisode tragique de 1963 qui s’est terminé par une négociation secrète à Paris qui a abouti à un accord FLN-FFS du 16 juin 1965. Aït Ahmed a été arrêté par la suite et a été mis en prison puis exfiltré par le régime de Boumédiène car il était alors un prisonnier dérangeant. Il est parti (en Suisse), a repris ses études et les a menées à terme. Il a même fait des thèses, ce qui n’est pas courant, sur des questions géopolitiques importantes concernant l’histoire de la guerre de libération et sur la situation du tiers-monde.

Pourquoi estimez-vous qu’il s’agit d’un échec exemplaire ?

Le cas de Aït Ahmed pose une question politique, historique et éthique : peut-on changer ou contribuer au changement dans une société quand on vit à l’extérieur de cette société ? Je pense que Aït Ahmed a raté l’opportunité historique de son retour en 1989. Il avait la possibilité de mettre réellement la question démocratique au centre de l’évolution des rapports de force en Algérie. Il était le militant politique et nationaliste qui incarnait le plus la capacité d’une alternative démocratique de notre société après la crise de la fin des années 1980 et la démission du président Chadli Bendjdid. Cette capacité n’a pas été réellement mise en œuvre. C’est pour cela que j’estime que c’est l’histoire d’un échec exemplaire. L’Algérie avait besoin de lui comme dirigeant et comme éclaireur. Il n’avait pas joué ce rôle.

Avait-il le choix et pouvait-il encore rester en Algérie après la mort de Boudiaf ?

Bien sûr. D’autres militants nationalistes de sa génération ont fait un autre choix dont Mohamed Boudiaf. Ce n’était pas une fatalité de considérer le FIS comme un acteur légitime alors que ce parti était issu de manipulations du régime de l’époque. J’ai énormément d’affection et d’estime pour Hocine Aït Ahmed qui a dû vivre dans la souffrance. Sauf que quand on fait le bilan sur le plan politique, on se rend compte qu’il n’a pas l’importance qu’il aurait dû avoir. Cela étant dit, Aït Ahmed méritait et mérite réellement qu’on laisse l’histoire décanter sa stature et qu’on mette fin au concert des pleureuses autour de sa tombe.

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