Arrêtez le massacre en méditerranée !

Le naufrage d’une embarcation de fortune au large des côtes libyennes, jeudi dernier, qui s’est soldé par des dizaines de morts, vient raviver l’actualité migratoire et rappeler, une nouvelle fois, la détresse de centaines de migrants livrés à leur sort, entre traversées périlleuses et frontières inclémentes. Alors qu’un premier bilan avait recensé 76 morts, voilà qu’un nouveau décompte fourni par le Croissant-Rouge libyen, relayé par l’AFP, fait désormais état de 111 migrants sans vie, repêchés par les secouristes libyens. Le drame s’est passé au large de la ville de Zouara, à 160 km à l’ouest de Tripoli. Selon le Croissant-Rouge libyen (CRL), le bateau en question transportait quelque 400 migrants dont 198 ont pu être sauvés. «Jusqu’à présent, 111 cadavres ont été repêchés et des dizaines de personnes sont toujours portées disparues», a déclaré à l’AFP le porte-parole du CRL, Mohamed Al Masrati. Selon Seddik Said, chef des opérations de secours, une autre embarcation, avec 60 migrants à bord, avait fait naufrage le 26 août. Ainsi, il y aurait en tout quelque 500 migrants touchés par ces deux naufrages. Parmi eux, près de 200 sont toujours portés disparus selon le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR). Ce nouveau drame, faut-il le souligner, est le plus meurtrier après le terrible naufrage du 19 avril dernier quand un chalutier bondé de harraga avait chaviré au large des côtes libyennes, provoquant la mort de près de 800 personnes. 300 000 personnes ont traversé la Méditerranée en 2015 Selon les derniers chiffres communiqués par le HCR et que l’on peut aisément consulter sur le site officiel de l’organisation onusienne, quelque 300 000 personnes ont traversé la Méditerranée depuis janvier 2015. 200 000 ont rejoint la Grèce tandis que 110 000 autres avaient pour destination l’Italie. Lors d’un point de presse animé vendredi à Genève, la porte-parole du HCR, Melissa Fleming, a fait savoir que quelque 2500 migrants ont péri en mer depuis le début de l’année 2015. Ceci sans compter les victimes du dernier naufrage. La porte-parole du HCR a indiqué que les flux migratoires à travers la Méditerranée se sont accrus en 2015 comparativement à 2014 où un total de 219 000 personnes avaient traversé la Méditerranée sur l’ensemble de l’année. Melissa Fleming a précisé, en outre, que «3500 ont péri ou étaient portées disparues en mer durant l’année 2014». De son côté, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a recensé 2373 personnes qui ont trouvé la mort en mer depuis le début de l’année 2015. 2267 d’entre elles ont emprunté l’«itinéraire central» (Afrique du Nord vers l’Italie et Malte), 83 migrants ont pris l’«itinéraire oriental» (depuis la Turquie vers la Grèce) et 23 d’entre eux l’«itinéraire occidental» (depuis l’Afrique vers l’Espagne, y compris les îles Canaries). Au moins 200 morts en août La représentante du HCR a souligné, par ailleurs, que lors du naufrage du 26 août, «51 personnes sont décédées par suffocation au fond de la cale. Selon les survivants, les passeurs demandaient de l’argent aux passagers pour leur permettre de sortir de la cale afin qu’ils puissent respirer». La porte-parole du HCR a également rapporté que le 15 août dernier, les corps de 49 migrants ont été retrouvés sans vie dans la cale d’un autre rafiot. «Ils auraient péri après avoir inhalé des fumées toxiques.» Melissa Fleming a également cité le cas d’un autre naufrage récent : il s’agit d’un « canot pneumatique transportant environ 145 réfugiés et migrants, qui a connu des difficultés lorsque le barreur a effectué une manœuvre ayant quasiment causé le chavirage du bateau». Selon Mme Fleming, «certaines personnes sont tombées dans la mer et deux hommes ont sauté dans l’eau pour les sauver. Les passagers ont été gagnés par la panique et ils ont commencé à se bousculer. Peu après, trois femmes ont été écrasées à mort sur le bateau». Ainsi, pour ne nous en tenir qu’à ce mois d’août, au moins quatre naufrages ont été enregistrés, faisant plus de 200 morts. A cela s’ajoute l’affaire des 71 migrants, vraisemblablement des Syriens, retrouvés dans un camion abandonné au bord d’une autoroute en Autriche, et dont le sort atroce a suscité une vive émotion de par le monde. Solidarité frileuse Ces drames à répétition viennent mettre une nouvelle fois sur le tapis la sempiternelle question de la responsabilité de l’Europe, de l’Occident de manière générale, dans ce qui se passe au sud de Frontex, l’agence de surveillance des frontières de l’UE. Rappelons qu’à la suite de l’hécatombe d’avril dernier, la Commission européenne avait émis quelques mesures au forceps. Parmi celles-ci : la chasse aux passeurs et la destruction pure et simple de leurs bateaux, le renforcement du dispositif Frontex, notamment l’opération «Triton» de surveillance maritime et de sauvetage en mer, la révision et l’harmonisation de la politique du droit d’asile, etc. Pour prompts qu’ils furent à convoquer sommets extraordinaires et réunions de chefs d’Etat et de gouvernement des 28 membres de l’UE, force est de constater que la rive septentrionale de la Méditerranée fait immanquablement preuve de la même frilosité, de la même solidarité timorée, avec une peur manifeste des mots. La même conception semble dominer l’approche du «problème» : traque des filières de trafic humain, surveillance renforcée des frontières, politique des quotas, droit d’asile a minima, obsession de la sécurité, primauté de l’approche militaire, comme dans le cas de la Hongrie. Sans parler des conditions d’accueil parfois inhumaines. Pourtant, à regarder de plus près la cartographie des flux migratoires, il apparaît très clairement que les parcours des nouveaux migrants sont directement induits par les récents conflits. Géopolitique du chaos, de Bush à Sarkozy En effet, qu’ils soient Libyens, Syriens, Palestiniens, Irakiens, Afghans, Soudanais, Erythréens, Somaliens ou Maliens, ces flux migratoires sont tous le produit du chaos provoqué par les interventions en Irak, en Libye, en Syrie, chaos qui a engendré, conséquemment, Daech et consorts. Rien que pour la Syrie, le HCR a recensé 4 millions de réfugiés. Et ces flux migratoires impliquent des périples toujours plus longs, plus éprouvants, plus coûteux et plus risqués surtout. «Beaucoup des personnes qui arrivent par la mer en Europe du Sud, notamment en Grèce, proviennent de pays touchés par la violence et les conflits, comme la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan», avoue Melissa Fleming, avant d’exhorter l’UE à prendre ses responsabilités : «Le HCR lance un appel à tous les gouvernements concernés à fournir des mécanismes de réponse complète ainsi qu’à agir avec humanité et conformément à leurs obligations internationales. Tous les pays européens et l’UE doivent agir ensemble en réponse à l’urgence croissante en faisant preuve de responsabilité et de solidarité.» Cependant, dans la communication officielle des chancelleries occidentales, dans les sommets européens et autres conclaves onusiens consacrés à la «crise migratoire» comme on la désigne «là-bas», pas un mot n’est soufflé quand il s’agit de dire clairement que l’Europe, l’Occident sont directement responsables de ces nouvelles zones de conflits, avec leur lot de morts, de déplacés, d’exilés et de déracinés. Sans parler de la liberté de circulation, droit complètement bafoué, jeté à la mer. Imed Soltani, président de l’association tunisienne La Terre pour Tous, lors d’un entretien qu’il nous a accordé récemment (El Watan du 26 avril 2015), avait eu ce cri d’indignation : «J’ai envie de dire à l’Occident : nous les Tunisiens, nous les Algériens, nous les Africains de manière générale, nous avons le droit de circuler tout autant que vous. Comme vous, vous avez le droit de venir chez nous, nous avons le droit de venir chez vous. La liberté de circuler est un droit garanti pour tous. Mais ces droits dont se gargarise l’Occident s’avèrent un grand mensonge. Où sont ces droits ? De quelle démocratie parle-t-on ? Il ne se passe pas de jour sans que des gens meurent en Méditerranée et on n’a pas vu le monde bouger d’un cil pour dire ça suffit ! Il faut changer ces politiques-là. Au lieu de cela, on les voit financer les Etats pour se taire, et payer Frontex en milliards plutôt que d’octroyer cet argent aux pays marginalisés pour développer leur économie. Nous, on est contre ce système et on va combattre ce système!»   

Admin

Enregistrer un commentaire

Plus récente Plus ancienne