SILA 2017 : Cherté des livres et désenchantement du public

Depuis sa toute première édition, le Salon international du livre d’Alger est un rendez-vous incontournable, aussi bien pour le public que pour les participants. La plupart des éditeurs profitent de cette manifestation livresque internationale pour dévoiler leurs nouveaux catalogues. Cette «rentrée littéraire», qui met sous les feux des projecteurs d’anciennes et de nouvelles plumes algériennes, revêt, à coup sûr, un aspect commercial. Contrairement aux années précédentes où le livre était relativement abordable, cette année les prix de la plupart des ouvrages proposés ont subi une hausse vertigineuse. Il suffit de faire un petit tour dans les différents stands pour constater de visu que les étals sont bien fournis en titres de genres divers. Les livres arborent des titres accrocheurs et des mises en page attrayantes. Mais très vite, les intéressés déchantent en découvrant les prix affichés. Beaucoup de désolation et de frustration se lisent sur les visages. Karima, étudiante en littérature française, se dit navrée de ne pas pouvoir acheter un certain nombre de romans qu’elle voulait acquérir avec l’argent en sa possession. «Pour les besoins de mes études, je dois acquérir des classiques d’auteurs français, mais là je vais freiner mes ardeurs. Je repartirai avec seulement deux livres.» Un autre étudiant en architecture affiche, lui aussi, son regret de ne pas pouvoir acheter les titres indispensables pour son cursus. La cherté du livre s’explique en premier lieu par la crise financière qui touche l’ensemble des secteurs du pays. La plupart des éditeurs rencontrés attestent de cette dure réalité. Le responsable des éditions Barzakh, Sofiane Hadjadj, reconnaît que le pouvoir d’achat des Algériens a commencé à s’amenuiser, mais que le livre a un coût qu’il ne faut pas occulter. «Le coût du livre, explique-t-il, est basé sur deux volets. Dans le prix de revient, il y a le coût de fabrication qui inclut le papier importé et l’impression. Avec la dévaluation du dinar et l’inflation de l’euro et du dollar, le papier est devenu plus cher de 20% depuis un an. Malheureusement, nous ne pouvons rien faire. Il y a aussi le coût de la main-d’œuvre et du travail fourni pour confectionner le livre. On travaille sur le texte. Ensuite vient le temps de la correction, la relecture et la maquette. Et puis, plus le livre est gros, plus il y a de travail. Le livre d’histoire coûte très cher, car il y a beaucoup de travail à faire dessus. Il y a les index à ajouter, il faut réviser les dates et vérifier toutes les références qui sont dans le livre, puis il y a plus de travail de correction et de relecture que dans un recueil de poésie ou un roman. Les beaux livres sont plus chers, car ils sont cartonnés avec du papier glacé. Nous sommes obligés de nous adapter au marché. Et comme malheureusement il n’y a pas beaucoup de soutien dans la politique du livre, on ne peut pas faire en sorte que les livres s’adaptent au pouvoir d’achat des citoyens.» Notre interlocuteur note toutefois que la maison Barzakh compte des auteurs qui se vendent bien, à l’image de Rachid Boudjedra, Amine Zaoui ou encore Kamel Daoud. Sept nouveautés avec plusieurs rééditions ont caractérisé leur présence au SILA. Pour le responsable des éditions Casbah, Smaïl Ameziane, l’affaiblissement du pouvoir d’achat depuis une année a induit plusieurs nouveaux éléments, lesquels sont venus se greffer à cette augmentation. «Vu la faiblesse du dinar, automatiquement les intrants reviennent beaucoup plus cher. Il y a une augmentation de 30% sur le papier, ajoutez à cela près de 30 à 40% de dévaluation. Cela vous donne des matières premières qui sont devenues très onéreuses», explique-t-il. Si certains livres sont plus chers que d’autres, cela s’explique aussi par la charge de travail. «Les livres d’histoire, note-t-il, demandent plus de travail. Il y a beaucoup de recherches qui se font, des fois cela demande deux ans de travail entre nos équipes et l’auteur de l’ouvrage.» Salim Baâli présente une longue liste de maisons d’édition françaises en Algérie, telles que Flammarion, Bordas, J’ai Lu, Hachette, Fernand Nathan. Il avance plusieurs raisons pour expliquer la cherté du livre. La plus importante est la dévaluation du dinar. La deuxième : les droits de douane sur le livre. «Nous sommes, dit-il, le seul pays au monde à payer des droits de douane de 5% sur le livre, plus 7% de TVA.» La troisième raison qui devient, selon lui, de plus en plus pesante, c’est le délai pour avoir toutes les autorisations. «Quand nous avons des livres qui arrivent au niveau des ports, avec toutes les autorisations qu’on est obligés d’obtenir, la marchandise reste pratiquement trois semaines en attente. C’est ce qui occasionne des frais de magasinage et vu qu’on paye par lettre de crédit, les dépenses augmentent. Tout cela ce sont des frais qui s’accumulent, alors que si on pouvait faire un transfert libre, ce serait plus simple et plus avantageux pour nous. C’est ce qui rend le livre de plus en plus cher. Nous avons fait des efforts avec des éditeurs afin de les convaincre de baisser les prix sur l’Algérie. Il y a beaucoup de collections qui sont moins chères chez nos voisins, à l’image de la collection J’ai Lu, il y a une partie du catalogue qui est moins chère qu’en Tunisie, au Maroc et en France. Nous faisons des efforts, mais nous n’arrivons pas à être satisfaits.» A la question de savoir si ces livres se vendent bien, ce responsable avoue qu’il est difficile d’écouler les livres en dehors du SILA, car il y a de moins en moins de librairies en Algérie et le circuit de distribution est archaïque. Il note que durant le SILA, des réductions de 30 à 50% sont concédées sur certains livres. Pour sa part, la directrice des éditions Dalimen, Dalila Nadjem, a annoncé que durant le SILA, tous ces livres sont cédés à 50%, exceptés les trois nouveautés du Salon. Elle a opté pour ce choix de promotion cette année, pour la simple raison que depuis deux ans, ses livres ne circulent plus comme d’habitude. «C’est compréhensible, argumente-t-elle, compte tenu de la crise qui sévit en Algérie. Et puis nous ne pouvons pas abandonner ce métier. Il faut le garder et le maintenir en vie. Il y a un sacrifice à faire pour montrer qu’on est encore là et qu’on se bat pour ce métier. Si on peut permettre aux familles de faire des acquisitions, autant réfléchir dans ce sens-là. Autant vendre même à moindre coût, mais vendre et exister. Je pense que Dalimen est en difficulté comme les autres maisons d’édition. C’est une période de crise, espérons qu’elle va passer.» Et d’ajouter : «Depuis un an et demi, nous vivons des moments très difficiles, mais nous gardons cette tradition du Salon du livre. Il est devenu un rendez-vous incontournable. Notre présence est indispensable et nous montrons que nous n’allons pas baisser les bras. Nous faisons une sorte de résistance au quotidien.» Si la cherté du livre pénalise beaucoup d’inconditionnels de la lecture, il reste que d’autres lecteurs préfèrent se rabattre sur quelques promotions effectuées ici et là par certains éditeurs algériens.  

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