Me Farouk Ksentini : « La Réconciliation nationale est un événement qui est de la même ampleur que le 1e Novembre 1954 »

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Me Farouk Ksentini : « La Réconciliation nationale est un événement qui est de la même ampleur que le 1e Novembre 1954 »

Ancien président de la Commission nationale consultative pour la protection et la promotion des droits de l’homme (CNCPPDH), Me Farouk Ksentini revient sur le bilan de la réconciliation nationale, l’amnistie générale et les images choquantes de la tragédie nationale diffusées par l’ENTV.

Quel bilan faites-vous de la mise en application de la Charte pour la paix et la réconciliation douze ans après sa promulgation ?

Sans la moindre complaisance et surtout sans le moindre excès, je considère honnêtement que la réconciliation nationale est un événement qui est de la même ampleur que le 1e novembre 1954. Si la révolution de 1954 nous a permis de retrouver l’indépendance, la réconciliation nationale nous a permis de retrouver la paix.

Dans les années 1990, nous étions en plein guerre civile, l’État avait pratiquement disparu, plus rien ne tenait. Grâce aux efforts des uns et des autres et notamment du président de la République, de l’institution militaire et des forces de l’ordre, la réconciliation nationale a mis fin à cette guerre civile épouvantable durant laquelle il y a eu plus de 100.000 ou 150.000 morts et 20 ou 30 milliards de dollars de dégâts.

Donc l’Algérie a été sauvée et remise sur les rails par cette réconciliation nationale. Celle-ci était au départ décriée. Mais force est de constater que les résultats obtenus sont extrêmement positifs. Si on s’en tient aux chiffres, il y a plus de sept milles terroristes. La réconciliation nationale a surtout démobilisé les terroristes et a chassé toute velléité de rejoindre les maquis pour combattre l’État.

Est-ce que vous estimez que c’est cette charte pour la paix et la réconciliation nationale qui a mis fin à la guerre ?

Je pense effectivement que la Charte pour la paix et la réconciliation a mis fin à la guerre. Elle est venue clôturer toutes les négociations qui avaient été développées auparavant. Elle a fait l’objet d’un référendum à l’occasion duquel le peuple algérien a apporté son adhésion. La Charte pour la paix et la réconciliation a été extrêmement salutaire. Elle a été menée en un temps record et sans l’intervention d’un pays tiers ou d’une personnalité d’envergure internationale quelconque pour rapprocher les différentes parties. Je considère, sans vouloir glorifier la chose outre mesure, qu’elle a atteint plus de 95% de ses objectifs.

La réconciliation a-t-elle apporté une réponse à tous les problèmes posés durant la décennie noire du terrorisme ?

Pas du tout. La tension est redescendue mais les vrais problèmes de nature sociale ou ceux liés aux aspirations des islamistes n’ont pas été résolus. La réconciliation nationale n’a pas été la clé qui a apporté la solution à tous les problèmes. Elle a apporté une solution pour le retour de la sécurité et de la paix civile. Mais toutes les autres questions ont demeurées en état.

Peut-on vraiment dire qu’elle a apporté une solution pour le retour de la sécurité et la paix alors que nous enregistrons de plus en plus d’attaques terroristes ?

Pour toute règle, il y a des exceptions. D’abord, ces attentats sont de l’ordre de l’anecdotique par rapport à ce qu’on a vécu, en terme de nombre bien sûr et non de la douleur. Ensuite, ces attentats n’ont même pas la même source. Avant c’était le GIA. L’Algérie était attaquée de l’Intérieur. Aujourd’hui, c’est Daech. Elle est attaquée de l’extérieur. L’armée et les forces de l’ordre ont beaucoup à faire au niveau des frontières.

Est-ce que l’Algérie doit aller plus loin dans ce processus ?

Ce qui a été entamé doit être terminé. Je pense qu’on devra nécessairement aller vers cette amnistie générale pour nous débarrasser définitivement de cette page noire de notre pays.  Il ne peut pas y avoir une solution définitive que l’amnistie générale. Dans tous les pays qui nous ont précédés dans ce genre de situations, les choses se sont achevées par une amnistie générale.

Beaucoup de victimes demandent toujours vérité et justice. Comment doit-on y répondre ?

Nous sommes dans un pays démocratique. Toutes les voix doivent être entendues. Mais il faut être réaliste et placer les intérêts supérieurs du pays au-dessus de toutes les revendications. D’abord, il y a un problème d’ordre juridique qui est considérable. Les faits susceptibles d’être portés devant justice sont largement atteints par la prescription. On ne peut pas juger les crimes de 1994 ou de 1995 par exemple. Evidemment, il faut respecter la douleur des victimes. Mais à mon avis, il faut passer outre. L’intérêt supérieur de ce pays commande que nous tournions la page. Si nous entamons des procès en rouvrant des dossiers de terrorisme, on va repartir pour une autre décennie. 

On n’aurait pas pu faire autrement et commencer par exiger la vérité ?

On aurait pu faire autrement. Sans être méchant, cela a été dans certains cas qu’un simple show médiatique. Des gens qui venaient se défouler et d’autres qui venaient se repentir devant les caméras de la télévision. Concrètement, il n’y a rien eu. Cela a été fait au Maroc et ça a tourné au ridicule. Je ne pense pas qu’un tel procédé aurait pu marcher en Algérie. Les Algériens sont des gens qui ont été éprouvés par la Guerre de libération puis par ce massacre innommable durant la décennie noire.

L’expérience menée en Afrique du Sud était différente…

En Afrique du Sud, le processus était parrainé par une personnalité de stature internationale qui était Nelson Mandela. Ça ne pouvait pas avoir le même effet. Le personnage était tellement immense que dès lors qu’il avait apporté sa caution à cette opération, les choses ne pouvaient que marcher. Mais des Nelson Mandela, il n’y en a pas partout.

Des images choquantes de la tragédie nationale ont été diffusées par la Télévision nationale. Beaucoup d’Algériens se sont indignés contre ce qu’ils qualifient de « manipulation » et de « propagande ». Qu’en pensez-vous ?

Ce sont des images difficiles. Il n’y a rien de plus terrible. Evidemment, chacun réagit selon sa sensibilité. Mais je pense que pour souligner l’importance de la réconciliation nationale, il fallait montrer l’horreur des crimes terroristes. C’est légitime. C’est exactement comme les spots de sensibilisation sur les accidents de la route. Si on veut mobiliser les gens, montrer des images est incontournable. S’il y a une chose qui doit faire l’unanimité, c’est bien la réconciliation nationale.

Me Farouk Ksentini : « La Réconciliation nationale est un événement qui est de la même ampleur que le 1e Novembre 1954 »



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