L’argent du secteur informel : La cacophonie des chiffres

La problématique du poids du secteur de l’informel dans l’économie nationale et la masse monétaire qu’il génère ne cesse, depuis quelques jours, d’alimenter les débats sur les chiffres révélés par les pouvoirs publics, mais aussi par certains experts financiers se référant à des rapports et autres bilans d’institutions nationales ou étrangères. A l’origine, faut-il souligner, l’intervention du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, à l’APN, où le montant de 1700 milliards de dinars, représentant l’argent circulant dans l’informel, a été révélé à l’opinion publique. Une polémique s’en est suivie quant à l’«exactitude» des chiffres du chef de l’Exécutif, d’autant qu’en 2012 déjà, le ministre du Commerce avait évalué l’argent de l’informel à plus de 50 milliards de dollars, la Banque d’Algérie et une enquête de l’ONS à plus de 40% de la masse monétaire en circulation. L’ex-ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa avait, quant à lui, avancé le chiffre de 40 à 50 milliards de dollars, alors que l’ex-Premier ministre Abdelmalek Sellal, se référant aux données de la Banque d’Algérie, a affirmé que les fonds circulant hors circuit bancaire étaient de l’ordre de 37 milliards de dollars. Comment expliquer alors ces écarts de chiffres venant tous de responsables en fonction ? Pour les spécialistes financiers, la question de l’informel est, en elle-même, une problématique difficile à maîtriser, donc à quantifier, surtout qu’il s’agit d’activités non encadrées ni par la loi ni par les règles éconopmiques. Pour l’économiste et vice-président du CNES, Mustapha Mekideche, «par définition, l’informel, comme activité, n’est pas mesurable. La difficulté de le quantifier est donc réelle. Les chiffres avancés sur ce phénomène ne sont, donc, que des approches scientifiquement non fondées, en ce sens qu’il s’agit d’une approximation qui peut donner lieu à des estimations.» Néanmoins, explique-t-il, les chiffres révélés par le Premier ministre «sont basés sur des données de la Banque d’Algérie qui peut, en effet, faire une estimation de l’argent informel circulant hors circuit officiel, en évaluant le flux entre ce qu’elle a émis et ce qui est placé dans les banques». Selon lui, le montant de 1700 milliards de dinars est beaucoup plus proche de la réalité. Il estime même que le chiffre de 40 milliards de dollars a été annoncé auparavant par des responsables «pour un effet psychologique, dans le but d’attirer l’attention sur le poids grandissant de l’informel». Cela étant dit, les 1700 milliards de dinars représentent, selon lui, une somme non négligeable, d’où «la nécessité d’aller vers une profonde réforme fiscale et une normalisation des actifs dormants.» L’expert Ferhat Aït Ali soutient, lui aussi, l’idée selon laquelle les données statistiques révélées avant Ouyahia sont trop exagérées. Selon lui, «il faut relativiser les chiffres avancés par Benkhalfa ou encore l’ex-Premier ministre Sellal, d’autant que ces derniers n’ont pas expliqué s’il s’agit du montant de la masse monétaire circulant dans l’informel ou bien des transactions.» Les chiffres du Premier ministre sont donc, pour lui, plus plausibles, dans la mesure où «la masse monétaire qui circule dans les circuits informels a été toujours surévaluée par les pouvoirs publics. «La masse fiduciaire en circulation dans le pays et ce qui circule légalement dans la sphère réelle étant de l’ordre de 4700 milliards de dinars, y compris les détentions en comptes dans les caisses centrales des banques, de la Poste et de la Banque d’Algérie, j’estime que le montant thésaurisé sous forme de revenus non déclarés à l’époque de leur réalisation ne dépasse pas les 30% de ce montant, soit environ les 1600 milliards de dinars tout au plus», explique l’expert. Pour lui, «beaucoup de gens fantasment sur l’informel, alors que la volonté de certains d’intégrer ce secteur sans accompagner ce processus par des mesures adéquates ne pourra jamais aboutir à un résultat probant.»  

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