Entretien avec Me Karim Achoui : « Pour moi, il s’agit d’un incident diplomatique entre la France et l’Algérie »

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Entretien avec Me Karim Achoui : « Pour moi, il s’agit d’un incident diplomatique entre la France et l’Algérie »

Avocat franco-algérien, Me Karim Achoui s’est inscrit au barreau d’Alger en 2015 après avoir été radié de celui Paris. Il est actuellement poursuivi en France pour exercice illégal de la profession d’avocat. Dans cet entretien, il revient sur sa mise en examen, le racisme en France et la justice algérienne.

Vous avez été arrêté et mis en examen pour exercice illégale de la profession d’avocat à Paris. Que s’est-il passé exactement ?

Le 20 septembre dernier, j’ai été convoqué par les services de la police judiciaire à Paris. J’ai appelé l’officier de police pour lui demander de quoi il s’agissait. Il m’a demandé de passer à la brigade pour répondre à quelques questions. Je me suis présenté pour y répondre de faits que je ne connaissais pas. Une fois sur place, il m’a été notifié mon placement en garde à vue pour exercice illégal de la profession d’avocat. J’ai expliqué spontanément que j’étais inscrit au barreau d’Alger depuis le 14 février 2015 et qu’il était impossible que je sois placé en garde à vue pour des faits qui ne correspondaient pas à une réalité juridique. Je suis avocat n’en déplaise au bâtonnier de Paris ou au procureur de la République.

C’est le bâtonnier de Paris qui a déposé plainte contre vous pour exercice illégal de la profession ?

Le bâtonnier de Paris me voue manifestement une haine viscérale qui dépasse l’entendement et qui a, peut-être, comme épicentre un fond de racisme ou de jalousie. Malgré un avis favorable du procureur à l’époque et malgré le fait que des magistrats professionnels aient accepté que je plaide à Paris et en province, ce bâtonnier a cru bon d’instrumentaliser la justice parisienne au travers d’une plainte qu’il a déposée le 26 février 2016 au terme de laquelle il demandait au procureur de la République de me poursuivre pour exercice illégal de la profession d’avocat. Aujourd’hui, je me retrouve dans une situation unique dans les annales judiciaires. Je suis avocat inscrit dans un barreau étranger mais pour le barreau et la police de Paris je suis quelqu’un qui agit sans la qualité d’avocat.

Vous avez bien été radié par le barreau de Paris…

J’ai été radié en 2011. Cependant, la radiation ne veut pas dire que vous êtes interdit d’exercer le métier d’avocat à vie. Elle veut dire que vous n’êtes plus inscrit dans un barreau. Vous êtes un navire sans pavillon. Pour pouvoir exercer la profession, il faut être rattaché à un barreau. Je me suis inscrit au barreau d’Alger. Quand la France, et en particulier le barreau de Paris, a appris que j’étais rattaché au prestigieux barreau d’Alger qui était déjà sous l’autorité du bâtonnier Abdelmadjid Sellini, on a commencé à expliquer que je n’étais, peut-être, pas tout à fait Algérien, que je ne pratiquais pas tout à fait l’arabe et qu’il y avait peut-être eu une fraude à la loi pour contourner l’interdiction d’exercice. J’ai donc indiqué à l’époque aux autorités françaises que je travaillais en Algérie et qu’il m’arrivait, occasionnellement, de me rendre en France pour y exercer mon métier.

Est-ce que vous avez déjà plaidé en Algérie ?

Je plaide en Algérie. J’ai d’ailleurs obtenu récemment un acquittement au tribunal criminel d’Alger pour un homme qui a été arrêté à l’aéroport suite à un mandat d’arrêt alors qu’il venait enterrer son père. Il a fait huit mois de détention provisoire. Il a été jugé pour des faits où le procureur avait réclamé entre cinq et dix ans de prison.

Vous plaidez donc en arabe ?

J’ai plaidé en arabe en utilisant parfois quelques mots en français. Je pourrais même plaider en berbère puisque je suis originaire de Kabylie.

Jamais votre qualité d’avocat n’a été contestée à l’étranger depuis votre inscription au barreau d’Alger ?

Mon activité principale est sur le territoire algérien. Cela dit, j’ai aussi plaidé au Maroc et en Asie durant cette période sans rencontrer aucune difficulté. Devant les tribunaux français, j’ai plaidé à plusieurs reprises et j’ai toujours été autorisé à le faire. La convention judiciaire franco-algérienne n’établit qu’une obligation à l’égard de l’avocat algérien : être domicilié dans le ressort du tribunal. À deux reprises, le barreau de Paris est intervenu à l’audience pour s’opposer à l’application de cette convocation. À deux reprises, il a été mis en difficulté parce que le procureur et le tribunal correctionnel de Paris m’avaient donné raison.

Estimez-vous être victime d’acharnement ?

Pour moi, il s’agit d’un incident diplomatique entre la France et l’Algérie. C’est une affaire politique et non de personnes qui est extrêmement grave. La convention judiciaire algérois-française s’applique à tous les avocats français et algériens n’en déplaise au bâtonnier et au procureur de la République sauf si la France ou l’Algérie la dénonce. Le 20 septembre dernier, la France a décidé que ce traité ne s’appliquait plus. En fait, il s’agit de la violation d’un traité international.

Vous êtes connu en France comme « l’avocat du milieu ». Cela veut dire quoi exactement ?

Cela veut dire que quand j’avais commencé le métier, il y a vingt ans de cela, j’avais la même clientèle qu’avait (Éric) Dupond-Moretti (célèbre pénaliste français, NDLR). J’aurais préféré défendre des fils d’archevêques et des présidents de la République. Malheureusement, ceux qui font appel à un avocat pénaliste sont des gens qui ont maille à partir avec la justice. Donc je défendais des trafiquants de drogue, des terroristes, des violeurs et tout ce qui fait la lie de la société et par conséquent que nous faisons ce métier.

J’ai eu une étiquette parce que je ressemblais à mes clients (physiquement, NDLR). Karim Achoui défendait Mohamed, Mouloud, etc. La presse s’amusait à dire « l’avocat du milieu » mais cela ne veut rien dire. J’ai toujours dit que j’étais avocat pénaliste et qu’un avocat pénaliste défend des figures du banditisme, des trafiquants et autres. Cela dit, je ne défendais pas que des gens du milieu. Celui qui est devant vous était l’avocat de Patrick Dils (victime d’une erreur judiciaire, NDLR) condamné à perpétuité, j’étais l’avocat des témoins de Jéhovah, de l’église de la scientologie, des sectes, d’organes de presse dont Le Figaro. On a essayé à un moment donné de m’étiqueter pour pouvoir, in fine, faire en sorte que je ressemble à ceux que je défends.

Vous pensez que vous n’auriez pas été confrontés à ce problème si vous vous appeliez Albert Dupont par exemple ?

J’en suis absolument certain. Je n’aurais jamais eu le moindre souci. Je n’aurais jamais été suspendu, mis en examen, condamné avant d’être acquitté. Cela ne souffre d’aucune difficulté. Aujourd’hui, j’ai l’impression que la justice considère que je lui ais fait un mauvais coup en étant blanchi, en continuant mon activité et surtout en retrouvant ma robe au barreau d’Alger pour prendre la défense des musulmans.

Vous avez créé une ligue judiciaire pour la défense des musulmans. Pourquoi ?

En 2013, il y avait tout un contentieux qui naissait (en France). On était confronté aux ratonnades comme celles qu’on avait connues durant la guerre d’Algérie en France. Dans les bus ou dans la rue, des femmes voilées étaient battues, se faisaient cracher dessus ou étaient confrontées à des tentatives de les dévoiler comme le faisait l’occupant français durant la guerre d’Algérie. C’est quelque chose qui a créé en moi une grande émotion et c’est ainsi que j’ai décidé de créer une ligue judiciaire de défense des musulmans qui est composée d’un peu plus de mille avocats. Il y a deux ans et demi de cela, les municipalités françaises ont décidé que tous les enfants, qu’ils soient musulmans ou pas, magneraient du porc quand il y aurait du porc à la cantine. J’ai déposé plainte. Après 24 mois de combats judiciaires, j’ai gagné contre l’État français qui était obligé de remettre les menus. La décision est tombée le 23 août dernier.

Vous êtes inscrit au barreau d’Alger depuis plus de deux ans. Quel regard portez-vous sur la justice algérienne que beaucoup d’avocats algériens dénoncent ?

Un regard contrasté. D’abord, les institutions sont empreintes du droit français. On est en droit pénal à ce qu’était la France avant 2000. Donc on n’est pas dans un droit pénal qui est très loin de ce que je connais déjà. En ce qui concerne la pratique judiciaire, mon recul n’est pas assez long.

Je constate cependant deux choses au sein de la justice algérienne. La première est la crispation des magistrats qui ont parfois le sentiment d’être submergés de dossiers et qui ont également un sentiment presque paranoïaque de ce que la suspicion des autorités pourrait peser sur eux. C’est-à-dire que si (en tant que magistrat) je rends une décision favorable, je penserai qu’on va peut-être me suspecter de telle ou telle collusion. Mais si je rends une décision lourde de conséquences, le justiciables pourrait toujours faire appel. J’ai le sentiment que le magistrat algérien a envie de se débarrasser du dossier.

La deuxième concerne des avocats qui ont du mal à s’organiser sur le plan pénal. J’ai le sentiment qu’il y a une sorte de hiérarchie entre la magistrature et le barreau. Nous sommes dans une situation presque de soumission alors que l’avocat est membre de la compagnie judiciaire. Il est l’un des acteurs du procès pénal au même titre que le magistrat du parquet. Lorsqu’on va déposer une requête au parquet pour une restitution de passeport ou pour une levée d’interdiction de sortie de territoire national, on est obligé de presque courber l’échine.

Il y a encore quelques réglages auxquels il faudrait procéder pour que le pouvoir et les décisions rendues soient indépendants. Cela dit, j’ai exercé vingt ans en France et je peux vous dire que (certains) dossiers sont sous le regard bien ou malveillant du pouvoir exécutif. Donc cela se passe de la même manière dans tous les pays du monde.

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