Manœuvre politique ou rupture réelle ?

Les derniers changements opérés au sein du gouvernement laissent penser que le cercle présidentiel recentre sa politique en se démarquant de son bras médiatique, de ses hommes d’affaires et de ses personnalités politiques qui lui ont été de mauvaise presse. Peut-on dire que le système qu’incarne le cercle présidentiel change de direction à l’approche de l’échéance électorale de 2019 ? Certains n’y croient pas. Mais beaucoup sont convaincus d’«une rupture progressive avec certaines pratiques qui ont plus desservi le système». Qu’en est-il au juste ? D’anciens et actuels hauts responsables de l’Etat, avec lesquels nous nous sommes entretenus sous couvert de l’anonymat, tentent d’apporter des explications en revenant à bien avant les élections législatives. «Des décisions importantes étaient attendues pour le mois de novembre 2016. Des changements devaient être opérés à un très haut niveau de l’Etat. Le débarquement de Amar Saadani du poste de secrétaire général du FLN, le parti du Président, était un message fort envoyé à ceux qui se projetaient dans la présidentielle de 2019, aidés, faut-il le préciser, par certains milieux d’argent. Le gouvernement Sellal devait partir. Surtout qu’entre-temps, rappelez-vous, il y a eu le grave incident qui a émaillé le Forum africain d’investissement au début du mois de novembre. L’interférence du président du FCE (Ndlr : Forum des chefs d’entreprise) et de son entourage dans les institutions de l’Etat a choqué l’opinion publique et mis à mal le cercle présidentiel, qui voyait d’un mauvais œil la relation d’affaire qui lie Ali Haddad au Premier ministre. Mais les décisions ont été ajournées en raison de la préparation de la loi de finances 2016-2017, dont l’adoption par une Assemblée en fin de mandat s’annonçait houleuse. L’on s’attendait à ce que les changements se fassent en début d’année. Cela n’a pas été le cas en raison des élections législatives…», explique un ministre en fonction. Au sommet, ajoute notre interlocuteur, «il est clair que des parties, considérées comme proches du cercle présidentiel, soutenues par les forces de l’argent, voulaient pérenniser le pouvoir, quitte à aller vers la confrontation et l’inconnu. Certaines n’apparaissaient pas, mais d’autres, par leurs décisions et leurs actes, faisaient pratiquement dans la provocation au point de susciter des mises au point publiques de la Présidence. Les exemples ne manquent pas. Il fallait écarter une grande partie de ceux qui parasitaient l’espace politico-médiatique. Certains ont tenté de faire le forcing pour revenir par les urnes. La décision de mettre un homme comme Sid-Ahmed Ferroukhi, ex-ministre de l’Agriculture, comme tête de liste FLN à Alger, n’était pas fortuite. Il fallait trouver un personnage de bonne réputation pour faire passer les candidats de la capitale et, en même temps, barrer la route à une liste de personnalités au sein du FLN qui la convoitaient. Mais, le pouvoir de l’argent était fort et a permis à certains d’être bien placés». Abondant dans le même sens, une autre source précise : «En haut lieu, le plus important était de faire en sorte que les élections du 4 mai se tiennent dans de bonnes conditions pour asseoir la légitimité parlementaire qui permettra de valider les décisions à venir. Les mêmes parties, qui étaient dans le viseur de la Présidence, ont par leurs déclarations, faits et gestes poussé les citoyens à bouder les urnes. Le Premier ministre, se sachant probablement partant, a mené une campagne des plus catastrophiques. Son dernier discours à Sétif lui a été fatal. L’a-t-il fait exprès ? Nous n’en savons rien. Ce qui est sûr, c’est que ses déclarations ont fait le tour du monde. Il était la risée de toutes les chaînes de télévision. Il venait de griller toutes ses chances de revenir au-devant de la scène politique et il le savait.» Revenu en force avec le nouveau gouvernement, un autre haut cadre de l’Etat, bien au fait des rouages du système, préfère revenir aux dernières élections législatives. «Les résultats des élections du 4 mai étaient révélateurs d’une rupture presque totale avec les électeurs. Les chiffres sont trop parlants. En plus d’un taux d’abstention assez important (65%), plus de deux millions d’Algériens ont glissé un bulletin blanc dans l’urne. Ces chiffres ont exprimé un mécontentement généralisé. Ce pouvoir, qui a dépensé des sommes colossales pour acheter la paix sociale, a finalement perdu de sa crédibilité. Les Algériens ont évité, pour des raisons de sécurité, de sortir dans la rue et de crier leur colère contre la mauvaise gouvernance, la corruption, les détournements des deniers publics, la violation des droits, l’injustice et surtout contre l’érosion du pouvoir d’achat. Ils ont préféré exprimer leur mécontentement contre le régime par l’abstention. Ce qui est nouveau et très grave, c’est ce nombre de deux millions de bulletins blancs exprimés, selon tous les spécialistes, par les membres des corps constitués. Cela veut dire que la colère latente est généralisée. Le message a fait l’effet d’un tremblement de terre. Il fallait réagir», dit-il. Selon lui, le cercle présidentiel a pris la décision de passer vers «une nouvelle étape». Il détaille : «D’abord, écarter tous ceux qui étaient dans la logique du complot à la brésilienne en perspective de 2019, ou qui y ont joué un rôle de près ou de loin. Le changement de gouvernement n’est que le point de départ. D’autres décisions dans ce sens devront être prises à court terme. Il est question de donner une nouvelle image à ce système qui avait son bras médiatique coupé depuis l’affaire de l’écrivain Rachid Boudjedra, ses hommes d’affaires qui incarnent l’argent mal acquis, aujourd’hui au creux de la vague, mais aussi son parti politique en pleine déconfiture. A 22 mois de 2019, le cercle présidentiel veut exprimer une rupture avec cette caste qu’il a ramenée et parrainée. De nouvelles orientations et des enquêtes sur les actes de gestion des partants. Il cherche à reconstruire les passerelles avec la classe politique et la société civile. Le pays traverse une période très difficile, marquée par une chute drastique des revenus de l’Etat. Pour y faire face, il faut rationaliser les ressources et aller vers des mesures qui nécessitent l’adhésion de tous. Raison pour laquelle il est important de se préparer à la rentrée sociale.» Nommée récemment à la tête d’une institution publique, une autre source note que les changements opérés «sont importants. Il y a des remises en question, mais aussi des corrections de trajectoire dans tous les domaines. L’austérité sera au centre des préoccupations. Le train de vie de l’Etat revu à la baisse, mais aussi celui de la population, qui sera appelée à accepter certaines augmentations des prix et la suppression de certaines subventions. Toutes ces décisions nécessitent une large compréhension qui ne peut être acquise qu’à travers la confiance. Or, après tous les scandales liés à la corruption, les nouveaux empires financiers mal acquis, l’injustice, etc., la confiance en ce régime devient très difficile à obtenir. Le régime est face à un défit. Pour s’assurer une sortie, ou un maintien, il est obligé de changer sa politique de gestion et de s’ouvrir davantage sur la population. Est-ce qu’il est dans cette logique ? La question reste posée».  

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