A un mois et demi des élections législatives du 4 mai prochain, quel constat faites-vous de la situation générale du pays ? La vision politique que l’on a aujourd’hui de l’Algérie est la même vision de l’époque du parti unique. C’est le même personnel politique, la même culture politique et la même vision politique ; c’est-à-dire un règne sans partage. Notre pays connaît une évolution exponentielle de sa jeunesse. Ce qui oblige normalement le pouvoir à associer cette jeunesse et tous les acteurs politiques à la prise de décision. Ce n’est pas le cas ! Nous sommes dans un pays où la société civile n’est pas impliquée directement dans le combat pour les libertés et la démocratie. En bridant la société civile, c’est normal qu’il n’y ait pas d’interaction entre la société civile et la chose politique. Pourquoi n’implique-t-on pas cette société, et pourquoi une telle marginalisation ? On ne veut pas l’impliquer, nous avons une société qui évolue et un pouvoir politique qui régresse. Aujourd’hui, la culture politique ambiante dans le système actuel n’a pas changé. Le fait de dire que nous avons 80 partis politiques est-ce une preuve de démocratie ? Dire que nous avons 150 journaux est-ce également une preuve de démocratie ? Non, ceci n’est qu’un habillage. Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans le parti unique, mais pire, nous sommes dans l’idée unique. Nous sommes dans un système où les institutions ne fonctionnent pas. La seule institution qui fonctionne et qui régénère le système politique est l’armée. La justice n’existe pas, elle est actionnée par le pouvoir politique. Nous avons un problème institutionnel. Sommes-nous face à un pouvoir fort ou plutôt face à une société faible ? Non, on ne peut pas dire que la société est faible dans la mesure où on ne lui donne pas les moyens de s’exprimer. Le système politique est dans une situation statique, il régresse alors que la société avance parce qu’elle maîtrise les nouvelles technologies. La société civile est étouffée. La loi sur les associations est faite pour limiter le champ d’action de ces dernières. La conjonction d’un Etat de droit avec la société civile pour défendre le citoyen et ses droits élémentaires n’existe pas. Pourquoi ? Parce qu’elle n’a pas les instruments adéquats. Avant, il y avait une élite qui a joué un rôle, ce qui permettait à la société de suivre et c’est à ce moment qu’interviennent des bouleversements et des changements, mais actuellement les élites, les académiciens sont effacés, ils ne jouent plus leur rôle d’avant-garde. L’Algérie vit une crise sur tous les plans et la crise économique que nous vivons aujourd’hui est la conséquence de la mauvaise gestion. La crise est venue à partir du moment où le pouvoir a pris une décision politique de lier l’avenir des Algériens au prix du baril de pétrole. Nous avons un problème politique de fond. Il n’y a pas de volonté politique. Aujourd’hui, trouvez-vous normal que l’on parle d’un cinquième mandat pour un Président malade ! ? Regardez, au lieu d’aller vers la révision de la Constitution, la limitation des mandats, la révision de la loi électoral, il aurait fallu, je l’ai proposé, mettre sur pied un contrat social et un gouvernement d’union national renfermant toutes les forces vives de la société et, par la suite, organiser des élections législatives. Vous dites que l’on parle d’un cinquième mandat pour un Président malade. Pensez-vous qu’il y ait des clans au pouvoir ? Non, il n’y a pas de clan. Il y a, selon moi, des cercles d’intérêts divergents, où chacun trouve son compte. C’est un tableau noir que vous brossez là. Mais en dépit de tout cela, vous prenez part aux élections du 4 mai ? Oui et je vous informe que je n’ai jamais boycotté une élection, qu’elle soit locale, présidentielle ou législative. Pourquoi y participer si vous dites que rien n’a changé depuis le parti unique d’autant que vous affirmez qu’il n’y aura pas de changement et que les dés sont pipés ? Je participe parce que je n’ai pas le choix, je n’ai pas d’autre pays. On ne me laisse pas le choix. Moi, je suis un militant, j’ai commencé à militer depuis l’époque du parti unique, et c’est là toute la différence. Je suis engagé politiquement. Je mène le seul combat qui mérite d’être mené, à savoir le combat pacifique. C’est une conviction profonde, c’est à travers les urnes que l’on peut trouver des solutions aux problèmes. Vous dites que vous n’avez jamais raté un rendez-vous électoral, mais vous n’avez jamais de bonne note. Vous êtes toujours classé parmi les derniers. Pourquoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Rien. Ce n’est pas de ma faute. Le problème réside dans le pouvoir politique que j’accuse de me priver de mes voix. Lorsque l’on me donne 0% des voix et on donne au Président 90% des voix, cela fait rigoler tout le monde. Il est révolu le temps où un candidat est élu à 90% des voix. Fini l’époque du parti unique. Pour moi, c’est le système électoral qui est obsolète. C’est le système électoral qui ne répond pas à toutes nos attentes, et qui est fait pour décourager les gens comme moi. Mais le problème ne réside-t-il pas dans l’incapacité de votre parti à mobiliser les troupes ou tout simplement la population ne vote pas pour Ahd 54 ? Non, désolé, ce n’est pas le citoyen qui ne vote pas pour moi, au contraire c’est le système électoral qui m’enlève mes voix, et ce, à travers le système des quotas. Même les partis au pouvoir, le FLN et le RND, reconnaissent aujourd’hui que le pouvoir a eu recours au système des quotas. Et également le vote des corps constitués, des militaires entre autres, a mis a nu la politique du pouvoir. Je ne dis pas que je suis parfait. Pratiquement chaque semaine, je suis dans une wilaya. J’ai fait cela pendant des années. Je connais des endroits que certains hommes politiques ne connaissent pas. J’ai des militants et des sympathisants. Pour les législatives, vous avez eu des difficultés pour la collecte des signatures ? Oui, j’ai eu d’énormes difficultés. Pourquoi ? Et combien de listes avez-vous présentées ? Nous avons présenté 17 listes. Nous avons introduit des recours et nous attendons les résultats. Aujourd’hui, aucun parti n’a les instruments nécessaires pour mesurer sa popularité ou du moins s’il a une représentation dans la société, même vous en tant que journaliste vous ne pouvez pas le savoir, pourquoi ? Parce qu’ils nous interdisent de disposer de ces instruments, et ce, dans le but de maintenir le flou. Pour avoir une idée sur la représentation de chaque parti, il faut une élection transparente.
Mais vous continuez à participer à ces élections ? Oui. Si je ne participe pas, je signerai ma mort. Je m’efface de la vie politique et je ne pourrai pas avoir de contact avec les citoyens, je ne pourrai pas véhiculer mon message politique et je ne pourrai pas non plus proposer une alternative. Si je suis votre raisonnement, la fraude a déjà commencé ... Plus, la fraude est faite, la fraude est institutionnalisée. Dites-moi comment peut-on parler d’une commission indépendante des élections, sachant que c’est le Président qui la désigne. Il est donc juge et partie, puisqu’il est président d’honneur du FLN, un FLN qui a voté le projet relatif au code électoral. Une loi liberticide. Il n’y a pas cette volonté de proposer une alternance au citoyen algérien. Donc c’est au citoyen de s’imposer. Moi, je n’ai pas peur de la décision du citoyen parce que je suis quelqu’un d’engagé politiquement et quel que soit le résultat, je défends mes idées. En parlant de proposition et de programme, tous les partis se défendent d’avoir un programme, mais dans la réalité, il n’en ressort rien de concret ? Aujourd’hui, le problème n’est pas d’avoir un programme de 300 pages. Ce qui est important, c’est d’avoir un programme qui soit adapté au besoin de la société, ce n’est pas la même chose. J’ai élaboré un programme de 48 pages et j’ai fait des propositions concrètes. Des propositions à l’instar du contrat social que personne n’a fait. Je ne vous cache pas que j’ai lu tous les programmes des chefs de gouvernement qui se sont succédé en Algérie, ils sont vides. Vous dites que la configuration de l’APN sera la même, dominée par les partis au pouvoir...
La culture politique du pouvoir est basée sur le dosage régional, nous savons tous que pour le FFS et le RCD, on leur donne les voix de la Kabylie ; d’ailleurs, ils n’ont jamais eu de voix en dehors de cette région. On donne quelques sièges aux islamistes, un peu aux partis de gauche, aux représentants des Touareg, puis les grands partis, le FLN et son appendice le RND, raflent la mise. La configuration de l’APN est la même depuis la nuit des temps. On donne des sièges aux uns et pas aux autres. Moi, je ne me fais pas d’illusion, c’est l’armée qui décide, ce n’est ni le peuple ni les représentants du peuple, c’est l’armée qui a décidé de ramener Zeroual, Chadli, Bouteflika… Aujourd’hui, la question qui tracasse le plus est de savoir si le pays va sortir de ce processus infernal ? Vous dénoncez souvent dans vos discours les harkis et les fils de harkis, mais ces gens sont toujours là et occupent des postes-clés ? Le poids de l’histoire nous suit tous. Nous avons, effectivement, des ministres qui sont des fils de harkis et ils sont fiers de l’être. Ceci est immoral. Le pouvoir dit une chose et son contraire. Regardez l’aberration : les détenteurs de la double nationalité n’ont pas le droit de venir au pouvoir alors que les fils de harkis si. Il faut arrêter de mentir au peuple, le citoyen algérien a le droit et le besoin de connaître son histoire. Ce qui me désole c’est le fait de constater que le système politique absorbe ces gens et ne les rejette pas. Pour les législatives, vous n’avez pas contracté d’alliances ? J’aurai voulu. Avant les élections de 2013, et avant même la création de l’ICSO, j’ai contacté des partis politiques, notamment le FFS qui n’a même pas répondu à ma sollicitation, de même pour le RCD. Les alliances, c’est une démarche tout à fait faisable. La seule alliance que je ferai concernera la surveillance des urnes. Du coup, vous avez refusé de faire partie de l’iCSo ? Pour l’ICSO j’ai posé une condition : je refuse de m’asseoir autour d’une table avec des repentis et d’anciens ministres. Nous sommes des militants politiques, on sait qui est qui et qui a fait quoi. Ce n’est pas un problème d’individu, mais moi j’ai des principes. Lorsque j’ai rencontré Ouyahia a l’occasion des consultations pour la révision de la Constitution, il a confirmé mes soupçons, en me révélant que ces gens ont tous mangé de la même soupe et si le pouvoir les sollicite, encore une fois, ils viennent en courant. Eh bien, on est dans cette situation. Les alliances ont été faites avant les élections. On sait qui sera demain avec le pouvoir et qui ne le sera pas. L’administration promet la transparence et la neutralité...
Le pouvoir est un menteur. La preuve, il tente de rassurer quant à la neutralité de l’administration et la non-utilisation des moyens de l’Etat. Mais les ministres, sans exception, de Ghoul à Benyounès, en passant par le FCE et Rebrab, ont utilisé les moyens de l’Etat pour financer la campagne présidentielle de 2014. Est-ce que vous percevez une subvention de l’Etat pour la campagne ? Nous n’avons aucun financement de l’Etat. Nous touchons une prime de 30 000 DA pour les trois élus que nous avons : deux députés et un sénateur. Nous sommes représentés dans 32 wilayas. Nous avons 100 militants par wilaya. J’ai aussi des sympathisants. Mon problème est que je n’ai pas suffisamment de structures pour absorber ce nombre important de militants. C’est dur de militer lorsque l’on refuse la compromission. Ceux qui ont choisi les compromissions ont à leur disposition tous les moyens matériels et financiers. On dit que derrière M. Rebaïne, il y a sa mère, Fatma Ouzegane ? Il n’y a pas que la maman, il y a le poids de la famille. Ma famille a participé à la révolte de Fadhma n’Soumer. Mon grand-père s’est installé à l’âge de 5 ans dans La Casbah. Les jeunes d’aujourd’hui ont le droit de connaître leur histoire, ils ont besoin d’être encadrés, ils ont besoin de repères, des hommes de valeurs et des hommes honnêtes. Dans notre pays, il n’y a pas que des ripoux. Vous ambitionnez de devenir président de la République ? Oui, c’est mon ambition. On peut y arriver comme on ne peut pas, mais j’ai une autre ambition, celle de transmettre un message, un message sur l’égalité, pour que le peuple puisse vivre dans le bonheur et la dignité. Je me bats pour les droits de l’homme, pour les droits élémentaires du citoyen. Vous insistez sur l’absence d’alternance au pouvoir alors que vous venez d’être reconduit pour un 5e mandat à la tête du parti. Pourquoi ? Vous faites une confusion. Quand on parle d’alternance au pouvoir, ce n’est pas le pouvoir des militants, mais je parle du pouvoir politique. Moi, ce sont les militants qui m’ont réélu. Ce n’est pas la même chose, je vous parle de l’alternance du peuple et non du militant. Ma réélection reste interne.
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El Watan