« La mort de Salah Baye ou la vie obscure d’un maghrébin » de Nabil Farès

Les bras ankylosés, mains liées et visage cagoulé, x* n’a qu’une envie, voir le vol des mouettes et sentir l’air marin une dernière fois avant d’être jeté à la mer par les deux hommes mandatés pour le faire disparaitre. Ce dimanche 20 novembre 1974, x sait aussi qu’il est peut-être déjà mort, il se sent loin de son corps et si proche de ses souvenirs. Son travail l’a certainement amené à être enlevé par la « sicrite », un kidnapping durant lequel il a été drogué pour lui faire raconter tout ce qu’il sait sur le cas de Salah Baye.

Après avoir été longuement supplié par ses parents de les rejoindre en France, Salah Baye y a émigré en 1966 pour travailler dans les mines, au nord. Mais toute son âme et son espoir d’une vie meilleure sont restés en Algérie. C’est vers elle qu’il revient trois ans plus tard, lorsque son frère Rabeh lui écrit pour lui annoncer que la nationalisation des terres a ouvert des emplois. Salah décide de rejoindre Rabeh immédiatement pour travailler avec lui dans une ferme. Àson arrivée, Salah découvre que son frère a été retrouvé dans les champs, la tête éclatée et un fusil à ses côtés. Accident ou assassinat ? Personne ne veut en parler. Alors il attend, et travaille. Lorsqu’il comprend que le gérant de la ferme affame les ouvriers et vole tous les bénéfices, comme tous les autres opportunistes que le système post-indépendance a laissé proliférer, Salah Baye va venger son frère.

C’est à travers le procès de Salah Baye, accusé de viol et tentative de meurtre, que le narrateur, apprend l’histoire de Salah. La’abi, avocat à la défense et ami du journaliste, avait la manie d’enregistrer ses discussions avec l’accusé et les huis clos au tribunal.

Ces enregistrements, le narrateur les a écoutés et cachés. Ils font partie de ses archives qui documentent et traquent une corruption qu’il a soigneusement investigué en mots et en photos. Ce sont ses archives qui vont éventuellement le conduire dans cette barque.

Nabil Farès a composé « La mort de Salah Baye ou la vie obscure d’un maghrébin » en plusieurs strates. Mi-dialogue interne et poème optique, qui jouent avec l’espace, en diagonales et spirales. Mi-procès sur fond d’enregistrements datés, où on entend comment les « ils » s’y sont pris pour écraser tous ceux qui ont « confondu le droit et le devoir ».

livre

Ce roman remarquable et limpide, d’à peine 160 pages, alterne ainsi les récits de ce journaliste anonyme et ceux de Salah Baye, deux protagonistes qui nous parlent depuis leur tombe.

Les récits de personnages qui contemplent leur parcours depuis des entre-mondes suspendus, à l’aube de leur mort, ont souvent inspiré des romans incontournables et des classiques du corpus littéraire algérien. Comme Tombéza de Rachid Mimouni (1984, Stock), le récit d’un homme abandonné sur un chariot dans un débarras d’hôpital qui, incapable de bouger ou de parler, se remémore son vécu dans l’Algérie nouvelle, qu’il a vu naître et pourrir. Ou comme dans Fils du Shéol d’Anouar Benmalek, où un enfant assassiné remonte le temps et la mémoire et raconte le génocide des Héréros en Namibie.

« La mort de Salah Baye ou la vie obscure d’un maghrébin » date de 1980. Publié aux éditions L’Harmattan, ce roman est l’un des nombreux de Nabil Farès, romancier et poète, qui vient de décéder ce mardi 30 août 2016 à Paris, à l’âge de 76 ans. Son premier roman, « Yahia pas de chance » publié en 1970 par les éditions Seuil, a marqué le début littéraire d’un auteur passionnant, prolifique, qui sur 40 ans d’écriture va explorer le thème de l’enlèvement, où l’eau, sous forme de mer ou de pluie, sont un élément liminaire de ses fictions.

*Le narrateur du roman n’est pas nommé x. Cette lettre est utilisée pour faciliter une référence directe à ce protagoniste qui n’a pas de nom.

Nabil Farès est décédé mardi 30 août à Paris, à l’âge de 76 ans.

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