Décryptage/ Quel avenir pour les réserves de change algériennes ?

Décryptage/ Quel avenir pour les réserves de change algériennes ?

C’est une information rapportée, voici quelques jours, par la très officielle agence APS. L’Algérie et la Banque Mondiale (BM) devaient  tenir fin août, c’est-à-dire en ce moment même, une discussion sur les perspectives de l’économie algérienne dans le sillage de la faiblesse des cours de pétrole. Une occasion sans doute de faire quelques mises au point et de se mettre d’accord sur des chiffres qui ont provoqué une polémique en plein cœur de l’été.

Les discussions, doivent se tenir par vidéoconférence et y prendra part, notamment, l’économiste en chef de la BM pour la région MENA, M. Shanta Devarajan. Il devait être  beaucoup question de l’analyse relative à l’économie de l’Algérie, publiée fin juillet dernier dans le bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA. Cette publication a fait l’effet d’une bombe. L’institution basée à Washington annonçait que les réserves de change de l’Algérie risquaient de tomber à 60 milliards de dollars fin 2018. Une perspective d’autant plus gênante que le Premier ministre, M. Abdelmalek Sellal, avait assuré, quelques jours plus tôt, que les réserves de change de l’Algérie ne descendraient en aucun cas sous la barre des 100 milliards de dollars. Il n’en fallait pas plus pour que la Banque d’Algérie sorte de sa réserve traditionnelle en rendant public, au cœur de l’été, une long plaidoyer en faveur des réformes financières en cours expliquant en substance, sans mentionner de chiffre précis, que le niveau  des réserves serait «nettement supérieur à 60 milliards de dollars fin 2018». Qui a raison qui a tort ?

Ce que dit la Banque Mondiale  

 L’analyse de la Banque Mondiale  avait souligné que  la faiblesse des cours de pétrole, qui semble s’installer dans la durée, a entraîné des changements dans les économies des pays pétroliers de la région MENA, confrontés à un recul des recettes dans un contexte de déficit budgétaire croissant. Selon les observations de la BM,l’Algérie a pu résister jusqu’ici  au choc grâce surtout à son faible endettement et son niveau de réserves.

C’est en utilisant les données fournies par les autorités financières algériennes elles même que les experts de la Banque Mondiale se sont livrés à un calcul en réalité très basique. A fin 2015, les réserves officielles de change de l’Algérie se situaient à exactement 144 milliards de dollars, selon les chiffres définitifs, rendus publics dans son dernier rapport de conjoncture à fin juillet dernier seulement par la Banque d’Algérie. Sur cette base, la BM estime, dans le prolongement des estimations des autorités financières algériennes pour 2016, que le déficit de la balance des paiement devrait se situer entre 27 et 28  milliards de dollars au cours des trois prochaines années (la Banque d’Algérie parle d’un déficit prévisionnel de 27,5 milliards de dollars en 2016). Faites le calcul vous-même. Il ne reste plus qu’environ 60 milliards de dollars à fin 2018…

Pourquoi la Banque d’Algérie n’est pas d’accord

Les autorités algériennes ne sont pas d’accord avec ce calcul parce qu’elles estiment qu’elles ont mis en œuvre un certain nombre d’actions qui vont modifier la tendance des derniers mois et dont les résultats vont se faire sentir principalement en 2017 et 2018.

C’est le sens du commentaire de la Banque d’Algérie selon lequel «le rapport de la Banque Mondiale  sur la région Mena situant le montant des réserves de change de l’Algérie, à l’horizon 2018, à 60 milliards de dollars paraît quelque peu alarmiste». En fait, le reproche essentiel de la Banque d’Algérie, qui exprime ici clairement le point de vue de l’ensemble des autorités algériennes, réside dans le fait que les projections de la BM «semblent tabler sur une totale inertie et absence de réactivité des pouvoirs publics» .«Le niveau des réserves à fin 2018 sera nettement supérieur à celui  annoncé par la BM, notamment en raison des effets de la consolidation budgétaire et de l’impact de celle-ci sur les comptes extérieurs», affirme la Banque D’Algérie .

Des motifs d’optimisme

L’optimisme des autorités financières algériennes pour les deux ou trois prochaines années repose sur les signaux favorables qui concernent l’évolution  à la fois des exportations et des importations.

 Pour ce qui est des exportations en volume des hydrocarbures, la Banque d’Algérie observe qu’« au premier semestre 2016, et pour la première fois depuis 2006, les quantités d’hydrocarbures exportées sont croissantes conformément aux prévisions du groupe Sonatrach».

Quant aux exportations en valeur, l’institution financière algérienne s’attend à une chute des revenus de l’Algérie en 2016 en raison de la baisse importante du prix du pétrole par rapport à 2015. Mais sur la base des prévisions d’augmentation des exportations d’hydrocarbures  entre 2016 et 2018, couplées à une croissance des prix du baril, “cela se  traduira par une croissance des exportations d’hydrocarbures en valeur sur cette  même période”. Toutes les prévisions, y compris celle de la BM, s’accordent à dire que les prix de pétrole vont être supérieurs en 2017 et 2018, rappelle la Banque d’Algérie.

Concernant les importations, la Banque d’Algérie rappelle qu’elles ont connu une tendance baissière depuis début 2015, chutant de 11,8% (de 59,7 à 52,7 Mds  USD), soit sept (07) milliards de dollars USD en moins, en 2015 par rapport  à 2014. Cette courbe baissière s’est poursuivie au premier semestre 2016, avec une diminution de 11,2% par rapport à la même période.
Ainsi, ces évolutions inverses des exportations et des importations “vont réduire substantiellement les déficits de la balance commerciale et, par conséquent, les déficits des balances courante et globale”,  affirme la Banque  centrale algérienne.

Plutôt 80 milliards fin 2018

Qui a tort qui a raison ? Quel niveau pour les réserves de change à fin 2018 ? Soulignons d’abord que cette date n’est pas choisie par hasard et correspond en gros à la fin du mandat du Président Bouteflika (début 2019), ce qui peut expliquer la sensibilité des autorités algériennes sur un  chapitre dont on sait qu’il tient à cœur au Chef de l’Etat. D’où certainement  les assurances du premier ministre  sur un niveau plancher de 100 milliards de dollars et celles de la Banque d’Algérie sur la «réactivité» des pouvoirs publics.

Quel pronostic peut- on faire sur l’évolution de nos réserves de change ? Dans l’état actuel des informations disponibles, le niveau de 60 milliards de dollars de réserves  évoqué par la BM est certainement un niveau plancher (à moins d’un nouvel effondrement des cours du baril au cours des 3 années à venir).

Les politiques mises en œuvre par les pouvoirs publics en matière de contrôle (et de contingentement) des importations pourraient permettre d’économiser encore une dizaine de milliards de dollars par an (par rapport au niveau d’importation de 52 milliards de dollars enregistré en 2015). Le reste dépendra des cours pétroliers…

Des réserves de change de l’ordre de 80 milliards de dollars fin 2018 semblent donc un pronostic raisonnable puisqu’il tablerait en gros sur le maintien des prix  pétroliers au cours des deux ou trois prochaines années  au niveau moyen enregistré en 2015 (soit 53 dollars selon le dernier rapport de la Banque d’Algérie). Une autre façon de dire que le niveau plancher de 100 milliards de dollars évoqué par M. Sellal supposerait une très bonne surprise avec des prix du baril supérieurs à 70 dollars en moyenne en 2017 et 2018.

Quand Benkhalfa «défend la Banque Mondiale»

Terminons ce décryptage en évoquant  une intervention publique bienvenue ces derniers jours de  l’ex-ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, qui livre une analyse intéressante du contexte dans lequel intervient cette mini-querelle de chiffres entre l’Algérie et la Banque Mondiale. Pour M. Benkhalfa, les divergences qui existent entre l’Algérie et les institutions internationales comme la Banque mondiale se rapportent aux solutions qu’il faudra apporter à la crise économique que vit l’Algérie à cause de l’effondrement du marché pétrolier depuis maintenant plus de deux ans. «La Banque mondiale donne des solutions structurelles alors que les responsables algériens apportent des solutions conjoncturelles en tenant compte de l’aspect social», précise Benkhalfa, selon lequel l’institution de Bretton Woods réclame, entre autres, la suppression des subventions, du commerce informel et de la règle 49/51 pour les investisseurs étrangers.

M. Benkhalfa assure en outre que les concepteurs des célèbres rapports «Doing  Business» de la Banque mondiale lui ont affirmé qu’«ils reconnaissent les compétences des cadres algériens en matière économique. Ils lui ont assuré que l’Algérie, en raison de ses capacités humaines et matérielles et même naturelles, mériterait une meilleure place sur la scène mondiale».

C’est l’absence de solutions durables qui fait que leurs rapports soient négatifs sur l’Algérie, estime Benkhalfa. «Ils nous disent toujours aidez-nous à ce que vous soyez en haut des classements», enchaîne l’ex-ministre des Finances pour lequel malgré les critiques de la Banque mondiale, ses rapports périodiques sur l’Algérie restent souvent objectifs. «Ses experts travaillent sur des données fiables et vérifiées. Cela même si ses rapports sont parfois incomplets.»

Hassan Haddouche

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