«Nous sommes bien en face d’une dévaluation»

- Le cours officiel du dinar s’est déprécié de 20% face au dollar et de plus 15% face à l’euro. Quelles pourraient être les répercussions de cette dépréciation sur l’économie nationale ? D’abord, il ne s’agit pas d’une dépréciation, mais bien d’une dévaluation et même les autorités monétaires le reconnaissent. Continuer de parler de dépréciation, c’est faire preuve de méconnaissance des concepts monétaires même si, il est vrai, les effets de l’une et l’autre, sur les secteurs de l’économie, sont les mêmes. Théoriquement, la dévaluation a généralement deux effets concomitants : la réduction de la dépense (exchange reducing policy) et partant à celle du PIB et le déplacement de la dépense (exchange shifting policy) qui signifie qu’on doit délaisser les industries non rentables et n’investir que dans les industries où le pays a un avantage économique. Ce qui a conduit, à travers toutes les dévaluations qui ont eu lieu à partir de 1986, au démantèlement d’une grande partie des entreprises publiques notamment du secteur de la distribution, les bureaux d’études mais également dans les industries hors hydrocarbures publiques, dont les inputs et les pièces de rechange sont importés. La réduction de la dépense étant envisagée à travers l’augmentation des prix des produits importés, ce qui doit permettre, pour une économie locale, l’augmentation de la demande des produits locaux et relancer la demande locale globale. En pratique, la relance de l’économie globale conformément à ce mécanisme prend du temps pour se mettre en place et ne prend pas en considération les frottements sociaux. Cela a conduit à plus de chômeurs et engendré des mouvements sociaux en 1986 à Alger et à Constantine et, plus tard, le phénomène du terrorisme dont les effets sont ressentis à ce jour. Par ailleurs, toutes les dévaluations antérieures n’ont pas conduit à une réduction des importations qui étaient l’objectif recherché. Peut-être que le logiciel des opérateurs économiques algériens fonctionne autrement : il ne cherche pas à servir, mais à se servir. Ces opérations n’ont également pas conduit à une augmentation des exportations et pour des raisons très simples : nos produits seraient médiocres, les opérations d’exportation sont trop transparentes et ne permettent pas d’évasion pour ne pas dire fraude fiscale, il y aurait une défaillance totale au niveau de la chaîne de distribution à l’export et enfin le syndrome hollandais n’a jamais voulu nous lâcher. - Quel peut être l’impact de cette dévaluation ? Aussi pour faire court, puisqu’il faudrait un livre pour détailler les impacts de la dévaluation sur l’économie nationale, disons qu’au plan du secteur réel, la dévaluation conduit au renchérissement de toutes importations. Pour les biens de consommation, il y en a globalement deux sortes : ceux qui ne sont pas subventionnés et dans ce cas la dévaluation va se répercuter directement sur le prix final de ces produits et donc sur l’inflation, et ceux qui bénéficient de la subvention de l’Etat, l’impact se fera au niveau de cette dernière qui va augmenter. L’enchérissement des biens d’investissement conduit à une baisse d’importation de ces produits et donc à une augmentation du chômage qui est déjà à un niveau inquiétant, malgré le développement d’une foultitude de programmes d’emplois d’administratifs, alors que l’augmentation des intrants conduit à une augmentation des coûts de production et partant des prix de revient.  L’effet conjugué de toutes ces augmentations engendre une inflation par les coûts et donc à une baisse du pouvoir d’achat de la population, ce qui peut déclencher des mouvements de grève suivis de demandes d’augmentation de salaires. Bref, un scénario que le pays a vécu en 2010 et 2011. Le PIB en volume devrait en conséquence se contracter.Par ailleurs, la dévaluation conduit à une détérioration de la confiance des citoyens en leur monnaie, le dinar, qui s’explique par l’augmentation, ces dernières années, de la circulation fiduciaire hors du système bancaire, l’envolée des prix de l’immobilier et de l’or, la chute de la valeur du dinar sur le marché parallèle, synonyme de recours de plus en plus d’opérateurs économiques locaux et étrangers pour préserver le pouvoir d’achat de leurs avoirs, mais également pour les faire fuir à l’étranger. L’augmentation des prix engendre également un accroissement de la propension à consommer des revenus des ménages et des entreprises et partant une baisse des dépôts auprès des banques. La dévaluation conduit aussi à une augmentation de la contre-valeur en dinars de la dette extérieure des opérateurs économiques et donc du pays. Mais du fait du caractère négligeable de la dette extérieure en devises étrangères, le pays n’est exposé à aucun risque de défaut de remboursement. Le seul bénéficiaire dans cette opération de dévaluation, c’est l’Etat. En effet, elle lui permet de percevoir des impôts d’une manière très rapide et directe à travers des droits de douane et la TVA sur le total des importations en dinars dévalués, et d’une manière indirecte à travers la taxe d’inflation. C’est l’Etat qui en prend la décision, quand il veut, sans passer par l’APN, c’est-à-dire son autorisation et son effet sont immédiats. - Cela risque-t-il d’exposer encore plus les entreprises au risque de change ? Tout à fait, d’autant plus qu’il n’existe pas, au niveau de notre système bancaire, de système de couverture qui permette aux entreprises d’éviter de tels phénomènes. Cependant, comme je l’ai dit plus haut, l’entreprise répercute la perte de change, car ce n’est plus un risque, c’est devenu une certitude, sur le consommateur final, et notamment les salariés et les pensionnaires qui sont les grands perdants dans ce type d’opération. Cela engendre plus de pauvreté chez ces catégories. Et ne parlons pas des ménages sans revenu. Avec une économie qui avance à un rythme très faible par rapport aux dépenses engagées, c’est-à-dire à un rythme qui ne permet pas d’absorber une partie du chômage antérieur, même avec les programmes d’emplois administratifs, cela ne peut engendrer que plus de chômage et de malheureux. Que va faire l’Etat, va-t-il réitérer l’opération de remboursement de la perte de change qui ne s’est pas terminée à ce jour et qui est un total fiasco ? Ou va-t-il laisser les entreprises se débrouiller sachant que celles-ci peuvent la répercuter sur les consommateurs finaux ? - Quel pourrait être l’impact sur les équilibres financiers des entreprises algériennes. Y a-t-il un risque de voir des entreprises faire faillite ? En effet, avant de répercuter la perte de change sur les consommateurs y compris les grossistes, les entreprises doivent faire face à une augmentation des couvertures en dinars de leurs opérations d’importation en cours de réalisation. Elles doivent, par exemple, pour une importation en dollars, puiser 20% dans leur trésorerie pour en couvrir le montant total en dinars ou augmenter leur dette d’exploitation d’un montant égal au minimum, alors qu’il n’est pas évident qu’elles fassent 20% de bénéfice supplémentaire, car, sauf en cas de biens de consommation de première nécessité indispensables pour le consommateur et en cas de monopole, l’augmentation des prix engendre toujours une diminution de la consommation. Imaginons maintenant le cas d’un projet d’investissement qui est en phase de réalisation et qui voit presque tous ses coûts augmenter de 20%, il risque de ne jamais être réalisé. A cela s’ajoutent les projets d’investissement qui devaient être lancés mais ne le seront pas, car les investisseurs ont peur de ce type de mauvaise surprise. Comme on vient de le constater, l’impact d’une dévaluation est très important, et ce, à tous les niveaux. Le seul gagnant dans cette opération reste l’Etat. Les responsables de l’Etat doivent comprendre qu’en matière d’économie, il n’y a pas de «repas gratuit», «there’s no free lunch». Tout se paye.

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