Entretien avec Wahid Bouabdellah : «L’État n’est pas faible, mais il est absent»

Wahid Bouabdellah est député FLN et membre de la commission des finances de l’APN. Dans cet entretien, il plaide pour une révision des budgets des ministères de la Défense et des Moudjahidin. Il revient également sur plusieurs sujets dont le projet de Loi de finances, la situation économique du pays, l’amnistie fiscale et la détérioration du climat des affaires…

Le ministre des Finances a annoncé la hausse des prix de l’électricité et du carburant alors que le projet de Loi de finances est toujours en discussion au niveau de l’APN…

Cette déclaration a étonné tout le monde. Hier matin, les membres de la commission des finances ont manifesté leur mécontentement. Le ministre des Finances est venu présenter ses excuses en disant que ce n’était pas son intention et qu’il voulait dire que le projet contenait des mesures qui sont en discussion. Nous ne sommes pas une caisse d’enregistrement. Je pense que le ministre a fait une erreur de communication. Mais tout est rentré dans l’ordre.

Ce n’est pas le premier dépassement d’un membre de l’Exécutif par rapport au Parlement. À quoi sert finalement un député ?

Malheureusement, vous ne pouvez pas assister aux discussions de la commission des finances. Durant nos réunions, les ministres sont sérieusement malmenés par les questions des députés, qui ont la liberté de les interroger comme ils le veulent. Cela étant dit, la décision (finale) concernant ce projet de loi ne revient pas aux membres de la commission mais aux partis qui représentent la majorité. Je ne peux pas dire qu’on ne sert à rien, parce qu’on dit ce qu’en pense.

Vous dites ce que vous pensez, mais les décisions du gouvernement passent finalement comme une lettre à la poste…

C’est ce qu’on appelle la démocratie. Les parlementaires votent des projets comme ils veulent et bloquent comme ils veulent certains projets, dont celui lié aux violences faites aux femmes. Aujourd’hui, il n’y a pas de vote à l’unanimité en plénière, même si des députés sont parfois rappelés à l’ordre par leurs partis.

L’Assemblée populaire nationale joue complètement son rôle de pouvoir législatif ?

Oui, complètement.

Pourquoi n’avez-vous pas fait de propositions de sortie de crise ?

Des projets de lois sont déposés, mais ils ne passent pas au niveau du bureau (de l’APN). N’oubliez pas qu’il y a une majorité.

Vous représentez la majorité au niveau de l’APN ?

En tant que député, on ne représente pas tout le parti (FLN) mais seulement certaines de ses sensibilités. Je suis d’accord sur le fait que la volonté du député n’est pas toujours la volonté du commandement du FLN.

Le député est tenu de respecter d’abord les directives du parti ?

Oui, il y a la discipline au sein du groupe et nous avons des consignes de vote. Quand un député FLN présente un amendement qui ne répond pas à la politique du gouvernement ou du parti, il est rejeté en plénière, même s’il est intéressant. Par ailleurs, on demande des enquêtes parlementaires qui sont rejetées quand elles ne répondent pas à leur logique. Elles ne sont jamais validées par le bureau de l’APN.

Vous n’avez pas interpellé le gouvernement sur l’évasion fiscale dont certains groupes étrangers sont responsables…

Demander les enregistrements de la commission des finances et des questions orales ! Bien sûr que nous l’avons interpellé. Sur cette question, je pense qu’il faut qu’il y ait un contrôle d’abord. S’il y a évasion, c’est qu’il y a un un problème dans la procédure de gestion de cet argent au niveau de la Banque d’Algérie. Ce n’est pas parce qu’on ne contrôle pas qu’on va tout bloquer.

Faut-il finalement augmenter le prix de l’électricité et du carburant ?

Oui il faut augmenter les prix de tous les produits, mais à une condition : supprimer toutes les subventions et les réserver uniquement à ceux qui en ont vraiment besoin, en créant notamment une caisse d’allocations. Pourquoi un député achèterait l’huile par exemple au même prix qu’un smicard. Les subventions existent partout dans le monde, mais elles sont ciblées et vont donc aux nécessiteux. En Algérie, le prix dérisoire des paquets de cigarettes est une honte. En Algérie, 30% du diesel qu’on importe part aux frontières. Pourquoi subventionner les pays limitrophes. Pour l’électricité, toutes les augmentations faites sont liées à la TVA et ne profitent donc pas à la Sonelgaz. Personne ne fait d’économie d’énergie. Celui qui consomme trop doit payer !

Les mesures contenues dans le projet de Loi de finances ne sont donc pas suffisantes ?

Elles ne sont pas suffisantes. Prenons l’exemple de la boulangerie. Aujourd’hui, le pain n’est tellement pas cher qu’il tue cette activité. On ne peut maintenir la paix sociale qu’à travers l’équité et la justice.

Il n’y a pas d’équité et de justice ?

Non.

Comment faut-il revoir le budget de fonctionnement ?

Il faut contrôler les dépenses et revoir certains dispositifs. Pourquoi donner un logement à un hors la loi qui vient s’accaparer une parcelle de terrain pour construire un bidonville alors qu’un Algérois, qui vit dans une cave, attend patiemment depuis l’indépendance alors qu’il a déposé une demande ? Parce que le premier a la capacité de brûler un pneu ou de bloquer une route ?

Faut-il revoir le budget de certains département dont celui de la Défense par exemple ou de l’Education et réviser les salaires des fonctionnaires ?

D’abord, il faut revoir le budget du ministère des Moudjahidin qui très important. Pourquoi accorder une pension à des anciens Moudjahidine qui sont riches ou à des faux Moudjahidin et à des enfants de faux Moudjahidin ? Ensuite, ce n’est pas une hérésie que de parler de la révision du budget du ministère de la Défense, quand on achète deux sous-marins et quand on les paie cash.  Parler des salaires des fonctionnaires, qui sont extrêmement faibles, est un raccourci facile. Pourquoi taper sur les fonctionnaires ?

Doit-on revoir les salaires des hauts fonctionnaires et hauts cadres comme préconisé par les experts sollicités par le CNES ?

C’est de l’hypocrisie et c’est aussi une absurdité. Les hauts fonctionnaires et cadres de l’État sont les moins payés au monde. Le ministre marocain a un salaire dix fois plus important que son homologue algérien : 300.000 Dirham par mois, soit trois millions de dinars. Un ministre algérien reçoit 350.000 DA par mois. Le ministre doit être bien payé, pour qu’il ne vole pas et pour bien travailler. Cela dit, il faut peut-être revoir le régime de retraite.

Les députés peuvent-ils donner l’exemple ?

Nous sommes également très mal payés par rapport aux parlementaires marocains et tunisiens. Un député algérien reçoit 250.000 DA (300.000 DA avec les primes à la fin de l’année), tandis que le Marocain reçoit l’équivalent de près de 700.000 dinars. Nous devons donner davantage à l’Algérien pour bien dépenser. On devrait encourager la création de richesses, pas par des effets d’annonces.

Que pensez-vous de l’amnistie fiscale ?

Telle qu’elle a été conçue, l’amnistie fiscale n’en est pas une. Seuls les gens qui n’ont pas triché, c’est-à-dire ceux qui ont gagné de l’argent sans le déclarer, vont déposer. Je pense aussi qu’un terroriste ou un trafiquant de drogue ne va pas le faire. S’il le fait, on doit lui demander d’où vient son argent, avant qu’il ne bénéficie de l’amnistie. Je trouve très grave de ne pas chercher à comprendre.

Cette opération aura-t-elle des résultats ?

Je ne pense pas. Une augmentation des dépôts au niveau des banques a été enregistrée ces derniers temps mais je défie quiconque qui me dira qu’elle est liée à l’amnistie fiscale, car ce n’est pas vrai. Les gens sont méfiants et ne font pas confiance. Les autorités prennent beaucoup de décisions et leur contraire le lendemain.

Faut-il changer nos billets pour régler ce problème ?

Non, ce serait une grave erreur. Ce serait de la folie ou du suicide. La première opération de changement de billet, faite quelques années auparavant, n’a eu aucun résultat. Tout le monde a pu changer ses billets et il n’y a pas eu de sanctions. Une nouvelle opération va encore porter un coup à la crédibilité de l’État.

Le dernier rapport de Doing Business évoque une détérioration constante du climat des affaires en Algérie alors que le gouvernement s’était engagé à l’améliorer…

Il va se détériorer davantage si on ne fait pas confiance à nos investisseurs nationaux et si on ne leur donne pas les moyens. En Algérie, on n’aide pas nos investisseurs. Ce projet de Loi de finances règle en partie seulement ce problème, mais je reste sceptique quant à son application.

Que pensez-vous de la polémique suscitée par les accusations d’Issad Rebrab ?

Personnellement, je crois qu’il faut créer une centaine d’Issad Rebrab en Algérie et ne pas les voir comme les ennemis du pays. M. Rebrab a investi et travaillé. Je ne pense pas qu’il ait triché. Je sais qu’il dérange parce qu’il a un franc-parler et ne va pas toujours dans le sens du poil. Cela dit, il a peut-être exagéré sur cette histoire d’arrestation. En fait, je ne donne raison ni à Rebrab, ni à l’excès anti-Rebrab.

M. Rebrab a dénoncé des obstacles et de nombreux blocages avant que le ministre de l’Industrie intervienne et l’accuse de surfacturation…

D’abord, ce n’est pas le seul à subir ces entraves. Ensuite, je pense qu’il y a un manque d’intelligence chez les décideurs. Il faut voir ce qu’il y a dans ses projets et les encourager. Issad Rebrab dérange pour des raisons que je ne connais pas aussi. Pour le ministre de l’Industrie, je pense qu’il fait beaucoup de choses positives. Sauf qu’il aurait pu faire l’économie de cette polémique surtout devant les étrangers.

Est-ce que certains hommes d’affaires proches du pouvoir cherchent à s’accaparer certaines activités rentables ?

Je ne sais pas, mais tout est possible. Je ne veux diaboliser personne, car on a tendance à accuser tous ceux qui réussissent d’être proche du pouvoir. À un moment donné, même Issad Rebrab était considéré comme étant proche du pouvoir.

Des hommes d’affaires craignent une Ben-Alisation de l’économie algérienne ?

D’abord, Bouteflika n’est pas Ben Ali et ne va pas encourager les riches, car il sait que l’argent facile tue l’État et son autorité. Cela m’étonnerait qu’il soit suicidaire. Ensuite, autant je suis contre ceux qui se sont fait de l’argent facilement, autant je suis convaincu qu’il faut encourager ceux qui réussissent dans une activité donnée. Derrière, l’État doit contrôler, réguler et sanctionner quand il le faut. Sincèrement, j’ai beaucoup de choses à dire mais je ne veux pas alimenter la polémique.

Vous partagez toujours la crainte de Louisa Hanoune concernant l’émergence d’une oligarchie en Algérie qui menace l’État ?

Nous n’avons pas la même idéologie économique. Elle voit aussi peut-être beaucoup plus d’oligarques qu’il y en a en réalité, mais je partage sa crainte complètement. Louisa Hanoune est une patriote engagée pour ce pays.

Des oligarques ont aujourd’hui de l’influence sur les institutions de l’État ?

C’est l’image qu’on nous donne à voir. Il faut un État fort. Quand on voit ce qui s’est passé avec la police, on se pose des questions. Dans un pays qui se respecte, ceux qui ont fait ces manifestations sont sévèrement punis. Il faut être sans pitié avec eux car la police est l’incarnation de l’État. C’est très grave ce qui s’est passé. Personne n’en a parlé depuis ce jour-là. On a éteint le feu et on s’est tu. Si on veut que ça ne se reproduise pas, il faut être très strict.

L’État n’est-il pas assez fort ?

L’État n’est pas faible, mais il est absent. Il faudrait qu’il reprenne ses périmètres d’autorité et qu’il ne les cède plus.

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