Bouteflika, responsable ou victime ?

Les Algériens divergent aujourd’hui dans leur évaluation de la période de règne de Bouteflika, qui est déjà dans le temps additionnel et qui pourrait même aller vers une séance de tirs au but. Elle pourrait aussi être arrêtée, avant terme, à cause d’une bagarre générale entre les joueurs ou en raison d’un envahissement de terrain de la part d’un public mécontent de la prestation ou du résultat.

En tous cas, le plaisir n’existe plus. La partie est devenue ennuyeuse, la prestation est mauvaise et l’esprit sportif est inexistant. C’est pourquoi le règne de Bouteflika restera le plus controversé depuis l’indépendance. Cette période est jalonnée de multiples échecs dans la construction de l’État et la réalisation du développement global, malgré nos richesses, nos ressources et nos capacités humaines et matérielles. Nous nous sommes retrouvés face à une multitude de difficultés politiques, économiques et sociales qui ne sont que les conséquences des défaillances dans la gestion des affaires de l’État.

Beaucoup de gens considèrent que Bouteflika doit assumer seul la responsabilité de l’impasse politique et de la régression économique, sociale et intellectuelle. D’autres pensent que le chef de l’État était plutôt victime de son narcissisme, son esprit de vengeance et sa nature autoritaire, ainsi que son arrogance et sa préférence pour l’allégeance au détriment de la compétence qui l’avait conduit à s’entourer de prébendiers et d’opportunistes ayant détourné les richesses du pays, exclut les compétences, et engendrant de ce fait la détresse dans laquelle nous vivons aujourd’hui.

Ceux qui imputent la responsabilité de la crise actuelle au président de la République se réfèrent à sa responsabilité politique, constitutionnelle et morale, d’autant plus qu’il s’est accaparé tous les pouvoirs et disposait de tous les moyens matériels lui permettant de mener le pays vers le développement global. Mais il a échoué politiquement dans la réalisation de la cohésion, comme il a raté le coche économiquement en se montrant incapable de réaliser le développement malgré la hausse des prix du pétrole. Il n’a pas réussi non plus à réaliser les équilibres régionaux, parce qu’il n’a compté que sur des hommes venus d’une seule région du pays, excluant ainsi les autres régions et les compétences au profit d’une armée de fidèles et des défaillants.

Selon ceux qui lui imputent la responsabilité, Bouteflika a détruit l’État, cassé les institutions et concentré tous les pouvoirs entre ses mains. Il a également accordé une confiance aveugle à son frère cadet et son conseiller personnel, qui était à l’origine de l’AVC dont il a été victime. Ce dernier était effectivement la cause de tous les problèmes du Président et de l’État, tombé entre les mains d’un entourage qui, après avoir isolé Bouteflika de son peuple et du monde extérieur, prend les décisions en son nom, tout en distillant des mensonges au peuple, croyant que ce dernier est dupe.

En revanche, ceux qui pensent que le Président est victime et n’est pas responsable de la situation actuelle se réfèrent à l’accumulation historique, politique, régionale et sécuritaire qu’il avait héritée de ses prédécesseurs et dont il n’arrive pas à s’en débarrasser parce qu’il en est, peut-être, partie prenante. C’est pourquoi il a eu recours à la vengeance en réglant ses comptes avec ceux qui se sont opposés à sa succession à Boumediene en 1979 et qui ont provoqué, ensuite, son exclusion du comité central du FLN.

De nombreux Algériens estiment que Bouteflika est une victime de son entourage qui a fait de lui un prophète et un mythe. C’est ce qui l’a amené à se confondre avec la Patrie, affirmant qu’il est l’artisan de la paix, de la stabilité et du développement, que c’est grâce à lui que tout s’est réalisé dans le pays, qu’il pense mieux que 40 millions d’Algériens et suit tous les détails. Au début il pensait tout cela vrai, et que ceux-ci et ceux-là sont sincères avant de découvrir qu’ils ne sont que des hypocrites.

Quant à ceux qui sont dans les secrets du sérail, eux croient que le Président est victime des pratiques de son frère cadet et de son entourage qui étaient pour lui l’œil et l’oreille avec laquelle il voit et entend. C’est à cause d’eux que le Président a cru être sur la bonne voie ; il a tiré sa force de la faiblesse de son entourage qui était incapable de s’opposer à ses décisions dangereuses et ses choix politiques successifs qui ont accentué la tension politique, la colère sociale et la régression économique et morale.

Certains, par contre, vont jusqu’à penser que Bouteflika est victime du peuple qui est devenu une partie du jeu. Un peuple qui a pris sa part de la rente pour élire un Président assis sur un fauteuil roulant, après avoir passé sous silence la révision de la Constitution en 2008. Il s’est tu aussi face à la destruction des institutions, la domination du pouvoir de l’argent sur les compétences. C’est un peuple dépourvu de volonté et démissionnaire qui n’est plus souverain et qui ne décide plus.

Il y a parmi les Algériens ceux qui croient qu’il est prématuré d’évaluer la période de règne de Bouteflika sous prétexte que la situation est compliquée. Ils veulent laisser cette tâche au peuple, aux historiens et aux politiciens qui s’en occuperont plus tard. Mais il est certain que l’Histoire notera que Bouteflika était, en même temps, responsable et victime : il était responsable de ses choix et victime de son entourage qui s’est retourné contre lui pour détourner l’État et prendre en otage le peuple, et le Président lui-même.

derradjih@gmail.com 

Cet article Bouteflika, responsable ou victime ? est apparu en premier sur TSA Algérie.



Admin

Enregistrer un commentaire

Plus récente Plus ancienne