« La visite de François Hollande est un cadeau pour Abdelaziz Bouteflika »

Christophe Dubois est l’un des auteurs de l’essai « Paris-Alger, une histoire passionnelle ». Il revient, dans cet entretien accordé à TSA, sur les raisons de la visite officielle de François Hollande en Algérie pour la seconde fois depuis son élection en 2012. Entretien.

Que vient faire François Hollande lundi en Algérie ?

Cette visite s’inscrit dans la continuité de la relation instaurée depuis fin 2012 lors de la visite d’État de François Hollande en Algérie qui a marqué un nouvel élan car, les relations entre la France est l’Algérie se sont considérablement refroidies sous Nicolas Sarkozy. François Hollande a voulu reconstruire un lien fort entre les deux pays. C’est la France officielle qui rend visite à l’Algérie officielle. Maintenant qu’est-ce qu’il y a vraiment derrière cette visite ? Quel est l’agenda derrière l’agenda officiel ? Ce sont des questions à poser. C’est, en tout cas, un cadeau pour Abdelaziz Bouteflika, très affaibli, qui va recevoir François Hollande dans sa résidence médicalisée. Ce genre de visite entretient la fiction du pouvoir algérien.

Il s’agit de sa deuxième visite en Algérie depuis sa prise de pouvoir. A-t-il fait de même avec d’autres pays ?

François Hollande a fait de même pour certains pays. Je citerai la Tunisie où il s’est rendu plus d’une fois à cause des attentats. Pour un président français en exercice, se rendre en Algérie à deux reprises est tout de même assez rare. C’est une volonté symbolique. Il y a aussi des dossiers sur la table à discuter et c’est une volonté de marquer son terrain par rapport à son prédécesseur.

Quels sont ces dossiers ?

Le premier qui me vient à l’esprit est le dossier sécuritaire. Il y a des opérations antiterroristes importantes menées en Algérie et en France. Dans le cadre de l’opération Serval et Barkhane, la France s’est assurée du soutien de l’Algérie pour repousser les djihadistes au Mali. L’Algérie est également un acteur important dans le dialogue au Mali et en Libye, pays qui préoccupe les pays occidentaux, y compris la France. Sur le volet sécuritaire, des choses ont déjà été faites suite à la première visite de François Hollande en 2012. L’opération Serval était au cœur de discussions entre François Hollande et Abdelaziz Bouteflika.

Il y a aussi un volet économique important. L’usine Renault d’Oran est un symbole fort de la coopération économique entre les deux pays, mais qui semble surtout avoir du succès auprès des administrations algériennes. D’autres grands dossiers, comme la vente d’hélicoptères, sont en discussion. Il y a aussi, de la part de la France, la volonté de faciliter les démarches des entreprises françaises en Algérie vu que la règle 49/51 est une difficulté pour certaines d’entre elles.

Certains lient cette visite à la préparation de la succession de Bouteflika. La France aura-t-elle son mot à dire dans ce dossier ?

De par l’ancienneté des liens qu’ont la France et l’Algérie, de par le partage des populations, de par les intérêts économiques et sécuritaires, la France a un regard appuyé sur le pouvoir algérien qu’elle a, d’ailleurs, du mal à décrypter.

La France aura donc un rôle à jouer dans la préparation de la succession de Bouteflika ?

Je ne dis pas ça. L’Algérie est un pays souverain et la France n’a pas à désigner un candidat. En revanche, il y a un devoir moral à ce que la France soit moins complaisante avec le pouvoir algérien.

François Hollande et son gouvernement ne parlent plus de la question des droits de l’Homme en Algérie. Comment expliquez-vous cette attitude d’un pouvoir de gauche ?

François Hollande adopte une approche vis-à-vis de l’Algérie plutôt traditionnelle depuis les années 2000. Le président français s’est rapproché du parti du pouvoir, c’est-à-dire du FLN. Ce qui a choqué certains nombres de dirigeants algériens, notamment le FFS. François Hollande a une approche très classique de l’Algérie.

Le business est-il en train de dominer la relation bilatérale ?

C’est un volet important des relations entre la France et l’Algérie. On a entendu beaucoup d’entreprises françaises se plaindre, mais en réalité elles font de bonnes affaires en Algérie. Certains chefs entreprises nous ont confié que le marché algérien est lucratif et que les investissements étaient rapidement rentabilisés. Mais je pense que le volet sécuritaire est le plus dominant vu les attaques terroristes qui pèsent sur les deux pays. Lors de notre enquête nous avons relevé que même lorsque les relations géopolitiques sont exécrables il y a un canal qui fonctionne, celui de la sécurité. Le ministère de l’Intérieur français a traditionnellement de fortes relations avec le gouvernement algérien.

Vous avez fait beaucoup de révélations dans votre livre. Depuis, des enquêtes ont-elles été ouvertes ?

Il n’y a pas d’enquête ouverte en France jusqu’à présent concernant le patrimoine de dirigeants algériens en France. La difficulté majeure est de démontrer que les acquisitions ont été faites avec de l’argent sale. Dans les enquêtes pour biens mal acquis, on s’aperçoit qu’elles avancent plus vite lorsque les dictateurs sont déchus. Tant qu’Abdelaziz Bouteflika est au pouvoir, il sera difficile d’ouvrir des enquêtes contre certains membres de son entourage et son gouvernement qui détiendraient des biens illégalement en France.



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